Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/467

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à part. Nous voulons vous voir gai et content ; arrière la mélancolie.

– Cher ami ! … dit Tom avec un sourire de satisfaction.

– Dites cher frère, Tom ! cher frère !

– Mon cher frère ! dit Tom ; il n’y a pas de danger que je sois mélancolique. Comment pourrais-je l’être, quand je sais que vous et Ruth vous êtes si tendrement unis ? »

Après un silence de quelques instants, il ajouta :

« Je crois que je ne pourrai retrouver ma langue ce soir. Mais je ne pourrai jamais vous dire la joie inexprimable que ce jour-ci m’a causée. Ce serait vous faire de la peine de vous louer d’avoir pris une jeune fille sans dot : car je suis bien sûr que vous savez ce qu’elle vaut ; et il n’y a pas de danger que cette valeur-là diminue dans votre estime, John, tandis que la valeur de l’argent peut baisser.

– Que parlez-vous d’argent ? s’écria John. Si je sais ce qu’elle vaut ! Ah ! quel homme pourrait voir Ruth et ne pas l’aimer ? Qui pourrait la connaître et ne point l’honorer ? Qui pourrait posséder un trésor tel que son cœur et ne pas chérir toujours ce trésor précieux ? Croyez-vous que j’éprouverais le ravissement que j’éprouve aujourd’hui, et que je l’aimerais comme je l’aime, Tom, si je ne savais pas ce qu’elle vaut ? Votre joie, dites-vous, est inexprimable ? … Non, non, non, Tom ; c’est la mienne, la mienne !

– Non, non, John, dit Tom ; c’est la mienne, la mienne ! »

Leur contestation amicale fut terminée par la petite Ruth elle-même, qui vint glisser son regard par la porte entrebâillée. Et quel regard triomphant, moitié orgueilleux, moitié timide, elle lança à Tom, quand son fiancé l’attira près de lui ! comme si elle disait : « Oui, vraiment, Tom voilà les libertés qu’il prend ; mais il en a le droit, vous savez, car je l’aime, Tom ! »

Quant à Tom, il nageait dans l’allégresse. Il serait resté là, sur sa chaise, des heures entières, à les regarder tous deux.

« Ma bien-aimée, j’ai dit à Tom, comme nous en étions convenus, que nous ne lui permettrions pas de nous quitter, et qu’il nous serait impossible de nous y résoudre. La perte d’un membre, et d’un membre comme lui, dans notre petit ménage de trois personnes, ne serait pas supportable ; c’est ce que je lui ai dit. J’ignore si c’est par discrétion ou par égoïsme qu’il voudrait nous quitter ; mais, si c’était par discrétion, il aurait bien tort, car il ne saurait nullement nous gêner. N’est-ce pas, chère Ruth ? »