Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/466

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c’était bien la vérité. Tout large qu’était ton cœur, cher Tom, ce jour-là il n’y avait plus de place que pour le bonheur et la sympathie.

Fips était aussi au repas, le vieux Fips, d’Austin Friars ; et c’était bien le gaillard le plus jovial qui jamais eût fait violence à ses instincts de bon vivant, en s’enfermant dans un bureau sombre. « Où est-il ? » s’était-il écrié en entrant. Et il sauta sur Tom, et il lui dit qu’il éprouvait le besoin de se dédommager de la contrainte forcée qu’il avait subie ; et premièrement il lui secoua une main, secondement il lui secoua l’autre, troisièmement il lui donna des coups de coude pleins d’amitié dans l’estomac ; quatrièmement il lui dit : « Comment ça va-t-il ? » enfin cinquièmement, sixièmement, etc., il lui donna une foule de marques aussi peu équivoques de son affection et de sa joie. Ce n’est pas tout : il chantait des chansons, Fips ; et puis il débitait des discours, Fips. Et il dégustait très-joliment son vin en faisant claquer sa langue, Fips. En un mot, il n’y avait pas un farceur pareil à Fips, sous tous les rapports.

Mais, bah ! ce n’était rien en comparaison du plaisir de retourner en flânant au logis, à la nuit ! Cette petite obstinée de Ruth ne refusa-t-elle pas de s’en aller en voiture ? elle voulut absolument faire comme dans cette bonne soirée où l’on s’en revint de Furnival’s-Inn ! C’était si doux de causer intimement de leurs projets, et d’épancher mutuellement leur allégresse ! si doux de former ensemble leurs petits plans pour Tom, et de voir, à mesure qu’ils parlaient, son visage joyeux s’illuminer d’une joie plus grande encore !

Lorsqu’ils arrivèrent à la maison, Tom laissa John avec sa sœur dans le parloir, et monta dans sa chambre, sous prétexte d’aller chercher un livre. Et tout en gravissant l’escalier, Tom s’applaudissait de sa petite supercherie, s’imaginant avoir fait un acte de profonde politique.

« Comme de juste, ils doivent désirer d’être seuls ensemble, se dit Tom, et je suis parti si naturellement que je suis sûr qu’ils vont, à tout moment, s’attendre à me voir revenir. C’est délicieux ! »

Mais il n’y avait pas longtemps qu’il était assis à lire, quand il entendit frapper à la porte.

« Puis-je entrer ? demanda John.

– Oh ! oui, certainement, répondit Tom.

– Ne nous laissez pas, Tom. N’allez pas ainsi vous asseoir