Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/49

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— J’ai pensé qu’il valait mieux ne pas faire d’extraordinaire, dit Tigg. Vous comprenez ?

– Mais comment donc appelez-vous cela ? répliqua Jonas. Vous ne voulez pas me faire croire que c’est là votre ordinaire de tous les jours ?

– Mon cher ami, répondit Montague en haussant les épaules, c’est comme ça tous les jours de la vie où je dîne à la maison. Je vous donne la fortune du pot. À quoi bon faire quelque chose d’extraordinaire pour vous ? Vous auriez eu bientôt éventé la mèche. « Vous allez faire un petit extra, me disait Crimple. – Ma foi, non ! » lui ai-je dit. Il ne faut pas lui jeter de poudre aux yeux.

– Diable ! ce n’est déjà pas si mal comme ça ! dit Jonas promenant son regard autour de la chambre. Un dîner pareil doit vous coûter les yeux de la tête ?

– Dame ! répliqua l’autre, je ne veux pas faire le fin avec vous : c’est un peu cher. Mais j’aime ça. C’est ma plus forte dépense. »

Jonas poussa sa langue contre sa joue en disant :

« Ça ne m’étonne pas !

– Quand vous serez notre associé, dit Tigg, vous en ferez peut-être autant pour vous débarrasser de votre part dans les bénéfices.

– Pas du tout, répliqua Jonas.

– Vous avez raison, dit Tigg avec une franchise amicale. À quoi bon ? ce n’est point nécessaire. Il faut dans une compagnie qu’il y en ait un qui le fasse pour représenter l’association ; mais puisque j’y trouve du plaisir, c’est mon département. Ça ne vous fait rien, n’est-ce pas, que le dîner soit cher, si c’est un autre qui en fait les frais ?

– Pas le moins du monde, dit Jonas.

– Alors j’espère que vous viendrez souvent dîner chez moi.

– Ah ! dit Jonas, ça m’est égal ; au contraire.

– Et jamais je n’essayerai de vous parler affaires à table ; je vous en fais serment. Ô le rusé, rusé compère ! Avez-vous été assez malin ce matin ? Il faut que je leur conte la chose : ça va bien les amuser. Pip, mon cher ami, j’ai à vous raconter un trait magnifique de mon ami Chuzzlewit, qui est bien le plus rusé coquin que je connaisse ; je vous donne ma parole d’honneur la plus sacrée que c’est le plus rusé coquin que je connaisse, Pip. »