Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pip déclara par un serment terrible qu’il était déjà bien sûr du fait. L’anecdote fut racontée et reçue avec de bruyants applaudissements, comme une preuve incontestable de la malice de M. Jonas. Dans un sentiment bien naturel d’émulation, Pip rapporta, à son tour, quelques unes de ses propres ruses ; et Wolf, pour ne point rester en arrière, récita les passages principaux de deux ou trois articles furieusement humoristiques qu’il était en train de composer. Ces échantillons, étant dans ce goût relevé qu’il appelait des teintes chaudes, reçurent l’approbation générale ; et la compagnie tomba d’accord qu’ils étaient pleins d’esprit d’un bout à l’autre.

Jobling murmura à l’oreille de Jonas :

« Des hommes du monde, mon cher monsieur, de véritables hommes du monde ! Pour une personne attachée comme moi à l’exercice d’une profession sérieuse, il n’y a rien de plus récréatif que de se trouver dans cette sorte de société. Non-seulement c’est agréable, car rien ne saurait être plus agréable, mais il y a là un intérêt philosophique, une étude de caractères, mon cher monsieur, de vrais caractères. »

Il est si doux de voir le mérite réel dignement apprécié, quelque direction qu’il suive dans la vie, que l’harmonie générale de la réunion gagna beaucoup sans doute à voir la haute estime où les deux « hommes du monde » étaient tenus par les classes supérieures de la société et par les braves défenseurs du pays des armées de terre et de mer, mais particulièrement par les premiers. Il n’y avait pas la moindre de leurs aventures à laquelle ne se trouvât mêlé un colonel ; les lords pleuvaient comme les jurons, et le sang royal lui-même coulait à pleins bords dans le ruisseau fangeux de leurs souvenirs personnels.

« Je crains que M. Chuzzlewit ne le connaisse pas, dit Wolf, par allusion à un certain personnage d’illustre lignage qui avait précédemment figuré dans une anecdote.

– Non, dit Tigg, mais nous mettrons M. Chuzzlewit en contact avec cette espèce de gens.

– Il aimait beaucoup la littérature, fit observer Wolf.

– Vrai ? dit Tigg.

– Oh ! certainement. Il s’est abonné à mon journal pendant plusieurs années. Savez-vous qu’il faisait de temps en temps de bonnes plaisanteries là-dessus ? Il demanda une fois à certain vicomte de mes amis (Pip le connaît bien) : « Quel est le nom du rédacteur ? – Wolf. – Wolf ? En effet il déchire à