Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/53

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Plusieurs verres de punch au vin de Champagne animèrent un moment les plaisirs de la soirée ; mais, après quelques démonstrations bruyantes et quelques mots sans suite, tout finit par la sortie des deux hommes du monde qui s’éloignèrent en chancelant, et par un somme que M. Jonas fit sur un des sofas.

Comme Jonas n’était pas en état de comprendre où il se trouvait, on donna ordre à M. Bailey d’appeler un fiacre pour le ramener chez lui : ce jeune gentleman dut lui-même, pour exécuter la commission, s’arracher aux douceurs du sommeil qu’il goûtait dans le vestibule. Il était alors près de trois heures du matin.

« Pensez-vous qu’il soit pris à l’hameçon ? murmura Crimple, assis à l’écart dans un coin du salon avec son associé et observant Jonas étendu sur le canapé.

– Un peu, dit Tigg sur le même ton. Et l’hameçon ne cassera pas, il est solide. Nadgett a-t-il été ce soir aux renseignements ?

– Oui. Je suis sorti pour lui parler. Comme il a vu que vous aviez du monde, il s’est retiré.

– Pourquoi ça ?

– Il a dit qu’il reviendrait demain matin de bonne heure, quand vous seriez encore au lit.

– Dites-lui de n’y pas manquer et envoyez-le-moi avant que je me lève. Chut ! voici le domestique. Voyons, monsieur Bailey, ramenez ce gentleman chez lui, et ne le quittez pas qu’il n’y soit rentré sain et sauf. Holà ! sus, Chuzzlewit, holà ! »

Ils soulevèrent Jonas non sans peine et l’aidèrent à descendre l’escalier ; là, ils lui posèrent son chapeau sur la tête et le hissèrent dans le fiacre. M. Bailey, l’y ayant enfermé, monta sur le siège auprès du cocher, en fumant son cigare avec un air de satisfaction toute particulière ; cette besogne dont il était chargé avait en effet un caractère de débauche élégante qui répondait parfaitement à ses goûts.

On arriva bientôt à la maison de la Cité. M. Bailey se jeta en bas du siège et témoigna de la vivacité de ses sentiments en frappant un coup comme jamais peut-être on n’en avait entendu de semblable dans ce quartier, depuis le grand incendie de Londres. Il fit quelques pas en arrière dans la rue pour observer de l’effet de cet exploit, et remarqua qu’une faible lumière, tout à l’heure visible à un étage supérieur, disparaissait pour descendre l’escalier. Afin de savoir d’avance qui