Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenait cette bougie, M. Bailey fit un bond vers la porte et appliqua un œil au trou de la serrure.

C’était Merry, la joyeuse Merry en personne. Mais quelle triste, quelle étrange altération dans ses traits ! Elle était si flétrie, si abattue, si chancelante, si craintive, si accablée, si brisée, qu’il eût éprouvé moins de surprise à la voir étendue paisiblement dans son cercueil.

Elle posa sa bougie sur une tablette, à l’angle du mur, et appuya sa main contre son cœur, sur ses yeux, sur sa tête brûlante. Puis elle s’approcha de la porte, en marchant d’un pas si égaré et si précipité, que M. Bailey en perdit son aplomb, et qu’il avait encore l’œil fixé à la place où avait été le trou de la serrure quand Merry avait déjà ouvert la porte.

« Ah ! ah ! dit M. Bailey avec un certain effort. C’est vous ? Qu’est-ce que vous avez donc ? Est-ce que vous êtes malade ? »

À travers l’étonnement qu’elle éprouvait en reconnaissant le groom sous son costume si différent de celui d’autrefois, elle retrouva son ancien sourire. M. Bailey en fut ravi ; mais, un moment après, il se sentit affligé de nouveau, car il vit des larmes mouiller les pauvres yeux éteints de Merry.

« N’ayez pas peur, dit Bailey. Il n’y a pas de quoi ! Je ramène chez lui M. Chuzzlewit. Il n’est point malade. Il a seulement bu un petit coup, vous savez. »

M. Bailey se mit à vaciller dans ses bottes pour figurer l’ivresse.

« Est-ce que vous venez de chez mistress Todgers ? demanda Merry toute tremblante.

– De chez mistress Todgers ? Dieu merci, non ! s’écria M. Bailey. Je n’ai plus rien de commun avec la maison Todgers. Il y a longtemps que je l’ai plantée là. Votre mari est venu dîner chez mon maître dans le West-End. Est-ce que vous ne saviez pas qu’il devait venir nous voir ?

– Non, dit-elle d’une voix mal assurée.

– Ah ! c’est pourtant comme ça. Nous sommes de fameux gaillards, allez ! je vous en réponds. Ne sortez pas, vous attraperiez un rhume de cerveau. Je vais vous l’amener. »

Et M. Bailey, témoignant par sa contenance la confiance parfaite où il était de pouvoir facilement porter Jonas, s’il le fallait, ouvrit la portière, abaissa le marchepied, et, secouant le dormeur, lui cria :

« Nous voici arrivés, mon bijou. Allons, relevez-vous ! »

Jonas avait repris assez l’usage de ses sens pour pouvoir