Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/62

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

– Ah ! dit le barbier, ouvrant ses yeux et leur donnant son expression de corbeau ; oh ! mon Dieu !

– Non, ça pourra vous gonfler comme un ballon, et vous rendra léger de corps comme un zéphyr, dit mistress Gamp. Mais, quand vous avez des choses qui vous trottent dans la tête et qui vous ôtent votre sommeil, votre esprit n’en sera pas moins lourd comme un plomb.

– Et quelles sont donc les choses qui vous trottent dans la tête ? demanda Poll, mordant ses ongles avec acharnement, tant il se sentait d’intérêt pour ce genre de maladie. Est-ce que ça serait des revenants ? »

Mistress Gamp, qui peut-être avait été déjà entraînée plus loin qu’elle ne voulait par la curiosité pressante du barbier, renifla d’une façon extraordinairement significative, en disant qu’il n’était pas question de ça.

« Cette après-midi, poursuivit-elle, je dois partir avec mon malade dans la voiture. Je m’arrêterai avec lui un jour ou deux, jusqu’à ce qu’il se procure une garde du pays (et elles sont fameuses, les gardes du pays, des filles de basse-cour qui n’entendent rien à la besogne), puis je m’en reviendrai ; et vous voyez si j’en ai de la peine, monsieur Sweedlepipe. Mais j’espère que tout ira bien en mon absence, vu que, comme dit mistress Harris, mistress Gill peut prendre son temps avec moi, le jour et la nuit ; ça m’est égal. »

Pendant que les observations précédentes, adressées exclusivement au barbier par mistress Gamp, allaient leur train, M. Bailey avait rattaché sa cravate, remis son habit, et s’était fait des grimaces hideuses dans la glace. En entendant mistress Gamp lui adresser personnellement la parole, il se retourna pour se mêler à la conversation.

« Vous n’êtes pas revenu dans la Cité, monsieur, je suppose, dit mistress Gamp, depuis le jour où nous nous sommes trouvés tous les trois chez M. Chuzzlewit ?

– Pardon, Sairah, j’y ai été, pas plus tard que la nuit dernière.

– La nuit dernière ! s’écria le barbier.

– Oui, Poll, c’est comme ça. Vous pourriez même dire ce matin, si vous tenez à être exact. M. Chuzzlewit a dîné chez nous.

– Qu’est-ce que ce petit démon-là veut dire par le mot : « nous ? » dit mistress Gamp avec un geste d’impatience prononcé.