Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur de femme et de mère battant dans sa poitrine humaine, elle me disait : « Mais ne partez donc pas, Sairey, au nom du bon Dieu ! – Et pourquoi est-ce que je ne partirais pas, madame Harris ? que je lui répliquai. Mistress Gill, que je dis, n’a-t-elle pas toujours été à l’heure ? et vous croyez, madame (je vous parle comme à une mère), qu’elle va commencer à se déranger ? Souvent et souvent je l’ai entendu lui-même répéter, que je dis à mistress Harris en parlant de M. Gill, qu’il parierait six pence quand on voudrait que sa femme n’avait pas besoin de l’almanach de cabinet pour se rappeler le quantième à jour fixe ; et vous croyez, madame, que je dis, qu’elle va y manquer pour la première fois ? – Non, madame, dit mistress Harris, non, ce n’est pas dans le cours de la nature. Mais, dit-elle, les yeux pleins de larmes, vous savez mieux que moi, avec votre expérience, comme il faut peu de chose pour nous tourner les sens. Il suffit pour cela d’un spectacle de polichinelle, d’un ramonage de cheminée, d’un chien de Terre-Neuve ou d’un homme ivre qui tourne brusquement le coin de la rue. » Et ça, c’est vrai, monsieur Sweedlepipe, dit mistress Gamp, on ne peut le nier ; et, bien que mon compte soit fait pour une semaine entière, je m’en vais avec le cœur affligé, je puis vous l’assurer, monsieur.

– Vous êtes si remplie de zèle ! dit Poll. Vous vous donnez tant de mal !

– Si je me donne du mal ! s’écria mistress Gamp, levant ses mains et ses yeux tout à la fois ; vous dites bien là la vérité, monsieur, la pure vérité ; je m’en donne d’un dimanche à l’autre, sans désemparer. Je compatis si bien aux souffrances d’autrui ! Vous ne voudriez pas croire que je les ressens encore plus vivement que les miennes ; si toutes les familles que j’ai eues le savaient et qu’on rendît justice aux gens, elles me devraient une belle neuvaine à la fontaine de Saint-Polge.

– Où va donc le malade ? demanda Sweedlepipe.

– Dans le Hartfortshire où c’qu’est son air natal. Mais il n’y a pas d’air natal qui tienne, il n’en reviendra jamais.

– Est-il aussi mal que cela ? demanda le barbier d’un air d’intérêt. En vérité ! »

Mistress Gamp secoua mystérieusement la tête et plissa ses lèvres :

« Il y a, dit-elle, des fièvres de l’esprit aussi bien que du corps. Vous pouvez avaler votre tisane limoneuse jusqu’à extinction sans guérir ces fièvres-là.