Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

niffien Mercy, son bras droit, est de revenir à la souche paternelle et de voir ce qu’il est advenu, en l’absence de la jeune femme, des différents rameaux de ce tronc.

D’abord, en ce qui concerne M. Pecksniff, faisons observer qu’ayant choisi pour sa fille cadette, la plus chère de ses affections, un mari tendre et indulgent, et accompli le souhait le plus ardent de son cœur paternel en lui assurant un établissement si prospère, il s’était rajeuni, et qu’en déployant les ailes de sa conscience irréprochable, il se sentait prêt à prendre son essor avec une nouvelle ardeur. C’est l’habitude des pères dans les comédies, après avoir donné leurs filles aux prétendants qui leur agréent, de se féliciter comme s’ils n’avaient rien de mieux à faire que de mourir immédiatement : ce qui ne les empêche pas de prendre leur temps. M. Pecksniff, qui était un père plus sage et plus positif, semblait penser que son affaire immédiate était de vivre au contraire ; et, puisqu’il s’était privé d’une consolation, de s’entourer de toutes les autres.

Cependant, bien que le brave homme eût beaucoup de penchant à la jovialité et à l’enjouement, et qu’il fût toujours prêt à s’ébattre dans le jardin de son imagination, comme un petit chat d’architecte qu’il était, il y avait un obstacle qui venait toujours à la traverse. La charmante Cherry, aiguillonnée par un sentiment d’insubordination et d’insolence qui, loin de s’adoucir ou de diminuer de violence, n’avait fait que s’envenimer et s’aigrir dans son cœur, la charmante Cherry, disons-nous, s’était mise ouvertement en rébellion. Elle était en guerre furieuse avec son cher papa : elle lui faisait mener ce qu’on appelle ordinairement (faute d’une meilleure image) une vie de chien. Mais jamais il n’y eut chenil, écurie ou maison, où se trouvât un chien dont la vie fût aussi rude que celle de M. Pecksniff avec sa douce enfant.

Le père et la fille étaient en train de déjeuner : Tom s’était retiré et les avait laissés seuls. M. Pecksniff avait d’abord l’air rechigné ; puis ayant éclairci son front, il regarda sa fille à la dérobée. Le nez de Cherry était ma foi très-rouge et retroussé en guerre comme par un avant-goût d’hostilités.

« Cherry, s’écria M. Pecksniff, quel grief y a-t-il donc entre nous ? Pourquoi, mon enfant, sommes-nous en mésintelligence ? »

Miss Pecksniff répondit du bout des lèvres à ce débordement d’affection par cette simple phrase :