Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/71

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« Vous m’ennuyez, p’pa.

– Je vous ennuie ? répéta M. Pecksniff avec un ton d’angoisse.

– Oh ! il est trop tard, p’pa, répliqua sa fille avec froideur, pour me parler comme ça. Je sais ce qu’en vaut l’aune.

– Voilà qui est fort, cria M. Pecksniff en s’adressant à son verre. Voilà qui est très-fort. Et c’est mon enfant, que j’ai portée dans mes bras quand elle avait des chaussons de laine sans semelle (je puis dire quand elle était dans ses langes), il y a bien des années de cela ! …

– Vous n’avez pas besoin de m’insulter par-dessus le marché, p’pa, repartit Cherry avec un air de dépit. Je n’ai pas déjà tant d’années de plus que ma sœur, bien qu’elle soit mariée à votre ami.

– Ah ! humanité ! humanité ! pauvre humanité ! s’écria M. Pecksniff secouant la tête contre l’humanité, comme s’il n’en faisait pas partie. Quand on pense que c’est là la cause d’un pareil débat ! Ô mon Dieu, ô mon Dieu !

– Ça, la cause ! s’écria Cherry. Vous ferez mieux de dire le véritable motif, p’pa ; sinon, je le dirai moi-même. Songez-y ; cela m’est facile. »

Peut-être l’énergie avec laquelle Cherry parlait était-elle contagieuse. Quoi qu’il en soit, Pecksniff changea de ton et d’expression et passa à la colère, même à la violence, en disant :

« Vous le voulez. Le voici : c’est votre conduite d’hier, c’est votre conduite de tous les jours. Vous n’avez pas de retenue : vous ne dissimulez pas votre caractère : cent fois vous vous êtes montrée à découvert à M. Chuzzlewit.

– Moi ! cria Cherry avec un sourire amer. Ah ! vraiment ! ça m’est bien égal.

– Et moi donc ! » répliqua M. Pecksniff.

Sa fille lui répondit par un rire méprisant.

« Puisque nous en sommes venus aux explications, Charity, dit M. Pecksniff en branlant la tête d’un air menaçant, je vous dirai que je n’entends pas ça. Pas de bêtises, mademoiselle, je ne le souffrirai pas.

– Il le faudra bien, repartit Charity, balançant sa chaise en tout sens, et élevant la voix ; je ferai, p’pa, tout ce qu’il me plaira et vous ne m’en empêcherez pas. Je n’ai pas envie de me laisser toujours mortifier ; comptez là-dessus. Jamais aucun être dans ce monde n’a été traité avec moins d’égards que moi.