Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/73

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désaccord. Je ne me soumettrai pas à tout cela. Il faut que vous le sachiez une fois pour toutes. Non ! je ne me soumettrai pas à tout cela, p’pa. Je ne suis pas assez imbécile ni assez aveugle. Tout ce que je puis vous dire, c’est que je ne m’y soumettrai pas. »

Quoique cette déclaration ne fût pas bien claire, c’est M. Pecksniff à son tour qui en éprouva une rude secousse ; tous ses pénibles efforts pour avoir l’air indifférent ne firent qu’augmenter sa profonde tristesse. Sa colère se changea en aménité, et ses paroles redevinrent douces et caressantes.

« Ma chère, dit-il, si dans l’emportement passager d’un moment d’irritation j’ai eu recours à certains moyens injustifiables pour arrêter une petite explosion de nature à vous faire tort ainsi qu’à moi (et c’est possible que je l’aie fait), je vous en demande pardon. Un père demandant pardon à son enfant, ajouta M. Pecksniff, c’est, à mon avis, un spectacle capable d’attendrir la plus âpre nature. »

Mais ces paroles n’attendrirent pas du tout miss Pecksniff, peut-être parce que sa nature n’était pas encore assez âpre. Au contraire, elle persista dans son dire et répéta à plusieurs reprises qu’elle n’était pas tout à fait assez imbécile ni assez aveugle, et qu’elle ne se soumettrait pas à tout ça.

« Vous êtes le jouet de quelque méprise, mon enfant ! s’écria M. Pecksniff ; mais je ne veux pas vous en demander la cause et ne tiens pas à la connaître. Non, je vous en prie, ajouta-t-il en étendant la main et en rougissant, laissons là ce sujet, ma chère, quel qu’il soit.

– C’est juste : il ne faut pas que ce sujet revienne jamais entre nous, monsieur, dit Charity. Mais je désire pouvoir l’éviter une autre fois, et en conséquence je dois vous prier de me chercher un gîte. »

M. Pecksniff promena ses regards autour de la chambre, et dit :

« Mon enfant !

– Une autre maison, papa, répondit Cherry sur un ton de plus en plus majestueux. Placez-moi chez Mme Todgers ou autre part, dans une condition indépendante : car je ne veux plus vivre ici, dans le cas où cela arriverait. »

Il est possible que Mlle Pecksniff rêvât chez Mme Todgers une cour d’adorateurs prêts dans leur enthousiasme à tomber à ses pieds. Il est possible que M. Pecksniff, par l’effet de son rajeunissement, vît de son côté dans cette