Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/82

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missement il éprouva en voyant le rêve de ses pensées en chair et en os ! À deux pas était Mary, Mary elle-même ! et seule !

D’abord M. Pecksniff s’arrêta comme s’il avait eu l’intention d’éviter la jeune fille ; mais son second mouvement fut d’avancer, ce qu’il fit rapidement. Il chantait en marchant, si doucement et avec une telle innocence, qu’il ne lui manquait que des plumes et des ailes pour être un oiseau.

En entendant derrière elle des notes qui ne venaient pas des chanteurs du bosquet, Mary se retourna. M. Pecksniff lui adressa un baiser de la main et fut en un instant auprès d’elle.

« Vous venez admirer la nature ? dit M. Pecksniff ; c’est comme moi.

– La matinée est si belle, dit Mary, que je me suis laissé entraîner à aller plus loin que je ne le voulais ; je vais m’en retourner.

– Encore comme moi, dit M. Pecksniff. Je vais retourner avec vous. Prenez mon bras, ma charmante enfant, » ajouta-t-il.

Mary repoussa l’invitation et marcha si vite que M. Pecksniff lui fit cette observation :

« Vous marchiez tout doucement quand je vous ai rencontrée. Pourquoi êtes-vous si cruelle que de presser le pas maintenant ? Vous ne vouliez pas m’éviter, sans doute ?

– Pardon, répondit-elle en tournant vers lui sa joue empourprée d’indignation. Vous le savez bien ! Laissez-moi, monsieur Pecksniff ; je ne veux pas que vous me touchiez, cela me déplaît. »

La toucher ! … Eh quoi ! ce chaste et patriarcal contact que mistress Todgers, une personne assurément très-réservée, avait supporté non-seulement sans se plaindre, mais encore avec une apparente satisfaction ! C’était parfaitement injuste. M. Pecksniff ne dissimula point qu’il était fâché de l’entendre parler ainsi.

« Si vous n’avez pas remarqué, dit Mary, que c’est là l’impression que j’éprouve, recevez-en l’assurance de mes propres lèvres ; et si vous êtes un gentleman, ne continuez pas à m’offenser.

– Bien, bien, dit doucement M. Pecksniff. Je ne pourrais qu’approuver cette pudeur chez ma propre fille ; comment pourrais-je m’en plaindre chez une belle personne comme