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qui a cette particularité intéressante d’être à peu près intacte et de nous représenter le dieu assis, le torse nu, le bas du corps enveloppé dans une ample draperie qui est ramenée par derrière, sur la tête, en forme de voile et soutenue à la hauteur des yeux par le bras levé dans le geste même qui caractérise le Saturne de l’autel du Capitole[1]. Toutes ces représentations ont ceci de commun que Saturne n’y a rien de l’air décrépit (αὐχμοῦπλέως) qui, suivant Lucien, aurait été sa caractéristique chez les peintres[2], mais, au contraire, une expression de vigueur et de virile majesté. Il est le senex obvoluto capite dont parle le commentateur de Virgile, expression qu’il convient de corriger par ce vers de Virgile lui-même, peignant Charon, le nocher des enfers : cruda deo viridisque senectus[3].
Fig. 6124. Saturne.
Une peinture de Pompéi, de toutes les représentations de Saturne la plus connue et la plus expressive, nous en a légué le type idéalisé (fig.  6124). Le dieu est représenté debout, suggérant l’idée des statues-portraits si fort en faveur dans l’art gréco-romain ; son altitude est noble ; il est drapé dans un manteau dont les plis rappellent la loge romaine ; une partie de la poitrine est à découvert ; la main droite, qui tient la serpette, est enveloppée jusqu’au poignet par la draperie qui contourne le cou, de droite à gauche, et retombe, largement traitée, sur l’autre bras, la main soutenant l’extrémité de l’étoffe[4].

Il y a peu de chose à tirer, en mettant à pari les monnaies de Mallos et d’Himère que nous avons citées plus haut, des diverses reproductions de Saturne sur des monnaies, soit grecques soit romaines. Pour les premières, les attributions sont toujours fort incertaines. Mentionnons toutefois la monnaie de Tarsos qui date du règne de Valérien l’Ancien et où la draperie, la tête et la faucille désignent suffisamment Saturne[5] ;
Fig. 6125. Saturne.
une monnaie de Flaviopolis, du règne de Domitien, qui le représente en buste, la tête voilée et avec la faucille ; une monnaie d’Hadrumète où, voilé également, il tient deux épis dans la main. À Rome même, il figure, sur les monnaies des familles Apuleia, Calpurnia, Cornelia, Marcia, Memmia, Neria et Nonia, au déclin de la République ; puis, sous l’Empire, sur quelques monnaies de Valérien, de Gallien et d’Albinus (fig. 6125)[6]. Le médaillon reproduit ci-contre[7], et qui date du règne de ce prince, rend à Saturne sa signification primitive de divinité agricole, mais sous les traits pompeux d’un roi qui ramène la prospérité de l’âge d’or. J.-A. Hild.

  1. Chez Max Mayer, p. 1562, fig. 13 ; cf. la figure demi-grandeur naturelle chez Clarac, p. 395, fig. 660.
  2. Kron. 10.
  3. Serv. Aen. III, 417 ; Mythogr. Vat. II, 1 ; Aug. Consol. evang. I, 23, 24 ; Virg. Aen. VI, 304.
  4. Helbig, Wandgemaclde, no 96 ; cf. ibid. 1005 ; Mueller-Wieseler, II, 62 ; 800 : cf. M. Mayer, Loc. cit. p. 1558. L’élégante statuette en brome du Musée de Florence, representant un héros nu, dans une attitude méditative, coiffé du pileus et tenant une serpette dans la main gauche (Mueller-Wieseler, II, 62, 801 ; cf. Mittheilungen, etc. 1892, p. 166). n’est pas un Saturne ; la serpette est restituée et le pileus ne convient pas au dieu ; il faut y voir un Ulysse ; cf. la figure de gauche du bas-relief en stuc, Monumenti, VI, 51 P, qui représente le rapt du Palladium ; le corps, la tête, la coiffure sont identiques ; seules l’expression et le geste diffèrent.
  5. Cette monnaie, très rare et que Mayer a le premier fait connaître, se trouve au Cabinet des médailles à Athènes : reproduite chez Mayer, p. 1558. fig. 8. Celle de Flaviopolis, Zeitichrift für Numism. XII, 332, Tab. 14, 1 ; celle d’Hadrumète, Mueller, Numism. de l’anc. Afrique, II, 52, 29.
  6. V. pour les monnaies de l’Empire, Eckhel, Doctr. num. VII. p. 381 ; pour les monnaies de la République, les traités de Cohen et de Babelon, passim.
  7. Froehner, Médaillons de l’Emp. rom. p. 191.

Bibliographie. Buttmann, dans sa Mythologie, II, 36 sq. : Kronos oder Saturnus, 1814 ; Gerhard, Griech. Mythologie, 1854. 106 sq. passim ; G. Hermann, De theologia Graecorum, p. 176 sq. ; E. Hofmann, Mythen nus der Wandeneit der graeko-italischen Staemme, 1re partie : Kronos und Zeus, 1875 ; Naegelsbach, Homerische Theologie, 2e éd. p. 75 sq. ; Nachhomerische Theologie, p. 98 sq. ; Overbeck, Abhandlungen der Saechs. Gesellschaft der Wissensch. 1865, p. 47 sq. : 64 sq. ; Preller-Plew, Griech. Mythologie, I, 44 sq. et passim ; Schwegler, Roem. Geschichte, I, p. 233 ; Sippel, De cultu Saturni, dissert. inaug. 1848 ; Roscher, Ausfuerliches Lexikon der griech. und Roem. Mythol. : Kronos, art.  de Max Mayer, III, p. 1452-1573 ; J. Toutain, Les Cités romaines de la Tunisie, 1895, p. 207 sq. ; 213, passim ; id. De Saturni dei in Africa romana cultu, 1894, particulièrement p. 27 sq. : Walx, De religionibus romanis antiquissimis, 1845, p. 12 sq. ; Welcker, Griech. Goetterlehre, I, 155 sq. et passim.

SATYRI, SILENI (Σάτυροι, Σιληνοί). — I. Origines et caractères du type. — Les Satyres sont des personnalités mythologiques qui furent associées, de bonne heure, au thiase de Dionysos. L’étymologie du mot Satyrus nous est inconnue. Les tentatives des grammairiens[1] pour expliquer ce vocable, qui n’est probablement pas d’origine hellénique, n’ont donné aucun résultat satisfaisant. On a proposé d’identifier les Satyres avec les Satrae de Thrace[2], dévots de Dionysos mentionnés par Hérodote[3] ; mais il faut écarter cette hypothèse évhémériste qui se fonde sur une confusion initiale des Satyres avec les Silènes. D’autres croient plus juste de rapprocher Satyrus du latin Satura. L’idée de plénitude et d’abondance caractériserait bien des démons protecteurs de la richesse agricole[4]. Mais, dès leur apparition dans la religion et dans l’art, c’est leur caractère agreste et libre qui domine. Hésiode[5] y voit une race fainéante et tournée au mal : ils sont à la fois pétulants et poltrons. Euripide les appelle θῆρες[6] ; leur nom dorien de τίτυροι[7] est synonyme de boucs. On pourra donc faire rentrer les Satyres dans la grande famille des génies thériomorphes, décrite par Mannhardt[8]. Pour tous les peuples indo-germaniques, les énergies naturelles des eaux, des vents, des forêts et des montagnes apparurent sous la forme de génies-animaux, dont la mythologie préhellénique, crétoise et mycénienne, nous offre aujourd’hui tant d’exemples. Ces croyances, légèrement modifiées à la vérité, survivent chez les montagnards de la Macédoine.

Le Péloponèse et, en particulier, l’Arcadie paraissent être la patrie d’origine des Satyres[9]. Les cantons pastoraux de l’Arcadie ont très anciennement adoré Pan, le divin chèvre-pieds [pan]. On lui emprunta ses cornes, sa queue et ses ongles fourchus, pour les donner à la troupe des Satyres, êtres mutins et lascifs qui ont

  1. Schol. Theocr. 4, 62 ; υάθη synonyme de ζέος ; Loescheke, Ath. Mittheilung, 1894, 523, se fonde sur le latin satur ; Schol. Platon, Conviv. 215 b ; σεσηρῆναι, montrer les dents.
  2. Head, Hist. Num. p. 176 ; Harrison, Prolegomena to the study of greek religion, p. 380.
  3. Herod. VII, 3.
  4. Voir l’article de Loeschcke, Ath. Mittheilung, IX, 1894, p. 523. Wilamowitz, cité par le même (p. 522), pense que le mot désignait à l’origine un bouc, τράγος, et repousse l’assimilation entre σάτυροι et satur.
  5. Ap. Strab. X, 471.
  6. Cyclop. 624 ; cf. Hesychius, s. v. σάτιροι. La glose sur l’herbe appelée σατύριον dérive évidemment du caractère lascif prêté aux Satyres.
  7. Hesychius, s. v. τίτυριον ; Schol. Theocrit. III, 2 ; cf. Lœschcke, l. c. p. 521.
  8. Antike Wald-und Feldkulte, 136 sq.
  9. Lœschcke. Loc. cit. p. 524.