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toujours conservé quelque chose de la nature caprine. Nous reconnaissons encore ces démons péloponésiens sur une série de vases à figures rouges du ve siècle, qui les représentent avec des cornes de bouc, des sabots et une queue de chèvre[1] (fig. 6126).

Satyres à cornes et pieds de bouc
Fig. 6126. — Satyres à cornes et pieds de bouc.

Les Silènes, originaires de la Thrace et de la Phrygie[2], sont aussi des génies-animaux. Mais les Satyres, esprits des solitudes rocheuses, tenaient de la chèvre leurs principaux traits ; les Silènes sont des démons chevalins, étroitement apparentés aux Centaures. Ils ont les oreilles velues, la queue fournie, et le sabot des solipèdes. Satyres et Silènes sont traités de θῆρες ; mais les auteurs dénomment les Silènes « chevaux », ἵπποι[3], tout comme ils appellent « boucs » les Satyres (τράγοι)[4].

Esprits des sources et des landes marécageuses, les Silènes sont les parèdres masculins des Nymphes [maenades] auxquelles ils s’unissent « dans la fraîcheur des cavernes », dit l’hymne homérique[5].

C’est à Athènes que les démons-boucs du Péloponèse (les Satyres) furent assimilés aux démons-chevaux de l’Anatolie (les Silènes), et cette confusion voulue eut une portée panhellénique. Nous verrons plus bas que les artistes attiques donnèrent aux Satyres introduits dans la tragédie le type exact des Silènes avec leurs oreilles et leurs queues de cheval. Pour les écrivains aussi, Satyres et Silènes devinrent synonymes[6]. L’usage courant de la langue ne distingua plus des êtres que l’art avait étroitement mêlés. Le plus célèbre de la troupe, Marsyas, est appelé tantôt Satyre et tantôt Silène, et l’on dit quelquefois drame silénique[7] au lieu de drame satyrique[8] [satyricum drama], pour cette forme particulière du drame consacré à l’essaim pétulant des Satyres. L’essai de démarcation tenté par Pausanias[9] est un témoignage de la confusion générale des deux conceptions mythologiques.

Si l’on confond communément Satyres et Silènes, il arrive aussi qu’on les distingue. À côté des innombrables Silènes, on fait une place spéciale au vieux Silène, le père nourricier de Dionysos. Une légende d’Argos raconte le combat d’un Satyre arcadien, sorte de monstre analogue à Nessus, contre Héraclès[10]. Une fois le précepteur de Dionysos devenu un vieillard, on rajeunit d’autant les Satyres qui passent pour ses enfants dans le Cyclope d’Euripide. C’était dans la tragédie que s’était faite la confusion des Silènes et des Satyres[11].

C’est aussi au drame satyrique athénien et à des convenances scéniques que M. Robert fait remonter le personnage mythologique du vieux Silène[12]. Pour introduire Silène au nombre des acteurs, on l’aurait chargé d’années en l’opposant ainsi aux jeunes Satyres-Silènes.

Quoi qu’il en soit, il se créa une légende du vieux Silène (γέρων[13], παππός[14]). Fils d’une Nymphe[15] et de Pan[16], il est élevé à Nysa, dont il devient roi[17]. Les Nymphes lui contient l’éducation du jeune Dionysos qui avait échappé à leur surveillance[18]. Il accompagne son élève en Attique et, laissant le dieu visiter les bourgs favorisés de Sémachidai et d’Icaria, il va goûter sur l’Acropole l’hospitalité de Pandion[19]. La sagesse de Silène est proverbiale : il a le don prophétique et on lui arrache ses oracles par ruse[20], car l’ébriété est la condition essentielle de ces révélations. L’imbécile Midas capture Silène dans son jardin de roses du Bermios, l’enivre et apprend de lui la vanité de l’existence humaine[21].

Le vieux Silène fatidique, ainsi que les Satyres-Silènes des chœurs tragiques, sont déjà étroitement associés à Dionysos. Mais, à l’origine, ceux-ci étaient tout à fait indépendants du dieu. Silène lui-même a comme prototypes, certains démons archaïques, bienfaisants et nourriciers, qui n’ont rien de commun avec le dieu du vin[22]. L’alliance des Satyres-Silènes avec Dionysos n’est donc point primitive. Elle s’explique par l’irrésistible attrait de la religion dionysiaque, qui adopta peu à peu les génies secondaires des eaux, des forêts et des sources. Selon les vues intéressantes de Wilamovitz[23], les Satyres reprirent pour Dionysos les danses rituelles qu’ils avaient exécutées autrefois pour Cybèle[24]. Les cérémonies de ce culte extatique produisaient chez les fidèles des crises d’enthousiasme : ils se croyaient possédés par la divinité et métamorphosés en animaux sacrés, boucs ou chevaux (Satyres ou Silènes).

Quand les premières ferveurs du culte nouveau se

  1. Roscher, Lexik. der gr. und. röm. Myth. art. pan, p. 1410. Notre figure d’après un cratère du Musée britannique, Journal of hell. stud. XI. 1890, pl. XI. Cf. Catalogue Durand, 142 ; Catalogue Pourtalès, 399 ; Jalm, Vasensammi, 682 ; Röm. Mitth. 1897, p. 91, 92, 93 ; Bristish Museum, Catalogue E. 735 ; Noël des Vergers, Étrurie, pl. x ; Annali d. I. 1884, tav. d’agg. M ; Mon. d. I. IV, pl. xxxiv ; Arch. Zeitg. 1855, 70 ; Bethe, Prolegomena, fig. p. 339.
  2. M. F. de Saussure me fait remarquer que Σιληνοί rappelle étroitement par la terminaison ηνοί les noms ethniques thraco-phrygiens ; on retrouve cette désinence dans Τυρρηνοί, ce qui indique l’origine anatolienne des Étrusques.
  3. Dittenberger, Syllog. inscr. graec.2 II, no 737, n. 77 ; Hym. Orphic. XLVIII, 4, XLIX, 1 ; cf. Maas, Orpheus, p. 18 sq. ; C. I. G. 4, 7460 ; Wide, Ath. Mittheilung, 1894, p. 281 ; Lœscheke, ibid. p. 521.
  4. Etymol. Magn. s. v. τραγῳδία ; cf. Aesch. Fragm. 207, n. 2 ; Hesych. s. v. τράγους ; cf. Pollux, Ἑρμενευ ὑμαία, Notice des manuscrits de la Bibliothèque nationale, XXIII, 2e partie, 1872, p. 55 : Ἀλγίτυπος, semicaper, satyre.
  5. Hym. ad Vener. 263.
  6. Hesych. s. v. Σιληνοί Σάτυροι.
  7. Plat. Conviv. 215 b.
  8. Athen. II, 55 c. ; Dion. Hal. Rhet., 3, 6 ; Arist. Poet. 4, 18.
  9. Paus. I, 23, 5 ; cf. Etymol. Magnum s. v. Σειληνός, p. 710 ; Servius ad Virg. Egl. VI, 14.
  10. Wilamowitz, Griechische Tragoedien, 111. Préface du Cyclope d’Euripide, p. 7.
  11. Welcker, Nachtrag der Aeschyl. Trilogie.
  12. Der Mude Silen, 23o Hallisches Winckelm. Progr. p. 18.
  13. Nonnusf, 17, 27 ; 19, 271.
  14. Pollux, 4, 142.
  15. Aelian, Var. Hist. 3, 18 ; Xenoph. Conviv. 5, 7.
  16. Serv. Virgil. Ecl. 6, 13.
  17. Diod. Sic. 3, 72 ; Catul. Eleg. 64, 253.
  18. Eurip. Cyclop. 4.
  19. Pausan. I, 23, 2, 27. Virg. Egl. VI.
  20. Pausan. I, 4, 5. La légende est étudiée par Bulle, Ath. Mitth. 1897, 389.
  21. Cf. Rhode, Griech. Roman, 204 sq.
  22. Furtwängler, Archiv. für Religionswissenchaft, 1907, p. 331 ; Bulle, Die Silene in der archaischen Kunst, p. 71.
  23. Griech. Tragödien, III, p. 9 sq.
  24. Strab. X, 466 ; Eurip. Bacch. 130.