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chercher la source et l’origine de la lettre dont les Phéniciens ont fait le signe représentatif de chacune de ces articulations, que parmi les caractères que les hiérogrammates de l’Égyple ont spécialement affectés à la peindre.

L’application rigoureuse de cette règle a conduit M. de Rougé à dresser un tableau comparatif des lettres phéniciennes qui nous paraît ne plus laisser place au doute sur la manière dont les fils de Chanaan allèrent chercher
Fig. 230. — Origine égyptienne de l’alphabet phénicien.
dans l’écriture tachygraphique des Égyptiens, leurs instituteurs, les éléments avec lesquels ils combinèrent leur alphabet. Nous le reproduisons donc, en mettant dans la colonne du phénicien les formes de caractères les plus antiques que l’on puisse relever sur les monuments jusqu’à présent connus de cette écriture.

Quinze lettres phéniciennes, sur vingt-deux, sont assez peu altérées pour que leur origine égyptienne se reconnaisse du premier coup d’œil comme certaine. Les autres, quoique plus éloignées du type hiératique, peuvent encore y être ramenées sans blesser les lois de la vraisemblance, d’autant plus que l’on constate facilement que leurs altérations se sont produites en vertu de lois constantes. Nous regardons par conséquent la question de l’origine des lettres phéniciennes comme définitivement résolue par M. de Rougé.

En un mot, les Chananéens n’empruntèrent pas seulement à l’Égypte le principe de l’alphabétisme, mais encore les figures et les valeurs de leurs lettres. Leur invention constitua le dernier progrès du développement du système graphique né sur les bords du Nil, en tirant de ce système les éléments d’un véritable alphabet et en bannissant de l’écriture tout ce qui était de non-phonétisme.

Tous les alphabets proprement dits, qui ont été ou qui sont encore en usage sur la surface du globe, se rattachent plus ou moins immédiatement à l’invention des phéniciens et sortent tous de la même source, dont ils sont éloignés à des degrés divers. C’est un fait capital pour l’histoire de l’humanité, qu’un certain nombre d’érudits, parmi lesquels il faut citer Kopp, Gesenius, Charles Lenormant, M. le comte de Vogüé, M. Renan et M. Albrecht Weber, ont déjà reconnu et qu’ils se sont étudiés à mettre en lumière. L’auteur de cet article a repris le même sujet, dans un livre actuellement en cours de publication, auquel l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres a décerné en 1866 une de ses couronnes, et il a essayé d’en donner la démonstration d’une manière plus complète qu’on ne l’avait encore fait.

En poursuivant ses études de paléographie comparative, en examinant soigneusement les diverses écritures alphabétiques pour en rechercher la parenté et en établir les divergences, de manière à pouvoir les classer par familles et à en reconstituer la filiation, il a vu peu à peu se dégager à ses yeux une vérité qu’il regarde désormais comme incontestable, l’existence du lien d’une origine commune entre toutes ces écritures, qui, sans exception, par des courants de dérivation différents, découlent de la source chananéenne. On peut parvenir à rétablir d’une manière presque certaine l’enchaînement des degrés de filiation plus ou moins multipliés par lesquels elles se relient à leur prototype originaire, et sur cette reconstitution baser un classement des systèmes d’écritures alphabétiques par familles naturelles, à l’instar de ce que l’on a fait dans la botanique et la zoologie.

La grande et féconde invention des Phéniciens paraît avoir rayonné presque simultanément dans cinq directions différentes, en formant cinq troncs ou courants de dérivation, qui tous se subdivisent en rameaux ou familles au bout d’un certain temps d’existence.

Le tronc central est le seul dont nous ayons à considérer les écritures dans cet article. Son domaine embrasse la Grèce, l’Asie Mineure et l’Italie. La transformation des signes d’aspirations douces, et même fortes, en signes de voyelles, y est constante. Il comprend d’abord les diverses variétés de l’alphabet hellénique, puis les alphabets dérivés du grec, formant deux familles, asiatique (en prenant Asie dans le même sens étroit que les anciens Hellènes) et italique.

II. L’alphabet grec. Origine phénicienne de l’alphabet grec. — Parmi les traditions relatives aux premiers âges des populations de la Grèce, il n’en est pas de plus constante et de mieux établie que celle qui fait apporter la connaissance de l’alphabet aux Pélasges par les navigateurs phéniciens, auxquels on donne pour chef Cadmus. Le plus grand nombre des auteurs de l’antiquité grecque et latine rapportent cette tradition, ou du moins y font allusion[1]. Aussi l’alphabet grec, sous la forme la plus ancienne, était-il désigné généralement par le nom de φοινικήϊα γράμματα, « lettres phéniciennes, » et Hésychius nous fait connaître un verbe ἐκφοινῖξαι, qui avait été composé d’après la même tradition.

Elle est pleinement confirmée, comme nous allons le montrer, par l’étude de l’écriture grecque elle-même dans ses plus anciennes formes. Elle l’est aussi par la nomenclature traditionnelle des lettres chez les Hellènes, laquelle est toujours demeurée sans changement celle que les Phéniciens avaient inventée, donnant à chaque caractère de leur écriture un nom significatif. La nomenclature phénicienne des lettres a été conservée par les Hébreux ; nous

  1. Ath. I, p. 28 b. ; Eust. Od., 1771 ; Plin. H. nat., V, 12, 13 ; Diod. Sic. III, 66 ; V, 74 ; Cl. Al. Str., I, p. 306 ; Hesych. Φοινικήια γράμματα ; Suid. Γράμματα, Tatian. Or. in Gr. 1.