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on ne s’intéressa plus qu’aux viviers d’eau salée (piscinae salsae, amarae) ; tandis que les poissons deau douce (aqtia dulcis) étaient abandonnés aux petites gens’, les plus riches personnages de Rome rivalisaient de prodi- galité et d’industrie pour créer en mer, notamment sur la côte de laCampanie,dcs parcs spacieux dans lesquels leur gourmandise trouvât à toute heure de quoi se satisfaire ; ce fut une véritable passion. Le premier qui en donna l’exemple, vers l’an 90 av. J.-C, fut Licinius surnommé Murena du nom d’un poisson dont il était friand- ; puis vinrent Sergius Orata {auraln, dorade’), les fameux avocats .Marcius Philippus et Ilortensius, Hirrius, LucuUus, etc. Ils formaient la pléiade de ceux que Cicéron appelait par dérision les piscinarii ^ .ux yeux des gens sages et des spéculateurs, ces établisse- ments avaient le grand lort de coûter beaucoup plus qu’ils ne rapportaient ’, et en effet les frais d’exploita- tion étaient énormes. Lucullus avait fait percer une montagne près de Baies, pour amener dans ses parcs l’eau de la mer par un canal souterrain. Ces amateurs qui s’imposaient de si lourds sacrifices n’étaient même pas toujours des gourmets ; il y avait aussi parmi eux des curieux et des dilettantes à qui rien ne coillait pour s’instruire, pour satisfaire un caprice ou se signaler par une originalité ; Ilortensius ne touchait point aux pois- sons enfermés dans ses viviers de Baules ; il envoyait acheter à Pouzzoles ceux qu’on servait sur sa table. Cet engouement ne cessa point sous l’Empire ; Védius Pollion, ami d’.uguste, jetait à ses lamproies les esclaves coupables qu’il avait condamnés à mort^ Antonia, femme de Drusus, lit mettre des anneaux aux ouïes d’une lamproie favorite ^ Au premier siècle, les viviers bien pourvus étaient devenus communs partout" ; on en exploitait sur la côte dehiNarbonnaise aussi bien qu’en Phénicie*.

Ceux des empereurs {rivaria Caesaris) comptaient au nombre des plus importants’ ; Martial a chanté les « poissons sacrés » qu’on entretenait dans la villa de Domitien, à Baies ; le maître leur avait donné des noms et ils accouraient, quand il les appelait, pour prendre leur nourriture de sa main ; naturellement la pèche était interdite sous les peines les plus sévères dans les eaux impériales ’".

Ni Varron ni Columelle n’ont traité du vivier d’eau douce, qui n’olTrait point d’attrait à la haute société et sur lequel du reste ils n’avaient pas grand’chose à dire. Les anciens en efTet n’ont jamais eu, comme nous, le besoin ni le souci de peupler les rivières dans un inté- rêt public, par la multiplication artificielle ; cette branche de la pisciculture, si llorissanle aujourd’hui, est, même chez nous, d’origine toute récente. Les gens du bel air, au temps de Cicéron, disaient avec dédain : « Autant vaudrait élever des grenouilles que des poissons

I Du reste, ciception faite des anguilles, il n’en était pas autrement en Grèce ; T. F’hiicm. ap. Athen. VII, p. 28S f ; Arteniid. [i, 14 ; Hcrniann-BUimner, Lehrb. d. gr. Privatalterth . p. 226. En 58 av. J.-C, bassin temporaire {euripus tem/w- rarius) creusé à Rome pour montrer au peuple les crocodiles de M. Aemilius Scaurus : l’iin. iVa(. hist. VIII, 96. — 2 l’Iin. .Xat. Iiist. I., 170 ; Colum. /. c.

— 3 f.ic. Ad Att. I, 19, 6 ; II, 9 ; cf. l’Iin. .V,i/. r.isi. IX, 55 ; Jlacrob. III, 15.

— ’ Varr. l. c. — ’ l’Iin. al. hitt. IX, 77 ; Senec. bc clem. I, IS : De ira, III, 40 ; Dio Cass. LIV, p. 5J0 ; Tcrtull. De pall. sut lîn. p. li ;i. — 6 piin. Op. l. IX, 172. Cf. Mairob. III, 15. -7 Colum. Op. I. VIII, 16. - s Plin. Op. l. IX, 5 ;t.

— SF’lin.Op. (. l.X,167 ; X, 103 ; Juvcn. IV,50. — lOJlart. IV, 30. Cf.Juven./. c. Sur les Tivicrs voir encore Tibull. Il, 3, 45 ; llor. Carm. Il, IS, 22 ; III, 1, 33 ; Epis(. 1. i. 79 : Sen. Eie. conltor. V,5 ; Con/ro». II, 9 ;Scu. Qii.nal. III, IS. Plin. .Vo(. hisl. IX.iiii. i.i, 170, 171 ; .Mari. III. 4U ; X. 3(1 ; Mand. IV. 263 ;

d’eau douce". » Au contraire les agronomes nous ont laissé des renseignements précis sur la construction des viviers maritimes ’-. Varron compare le vivier, dans l’ensemble, à une boite de couleurs ; chacune des cases [loculi] où le peintre enferme une de ses couleurs repré- sente un des compartiments dans lesquels on parque les poissons suivant leur espèce ; c’est la piscina locu- lata. Columelle distingue deux cas : 1° On utilise, en l’adaptant à son dessein, une anse naturelle ; alors il faut, pour lui donner une forme régulière, entailler le roc sur certains points, et la fermer par une digue [con- septum) ; sept pieds (2 mètres) de profondeur sont nécessaires au minimum. 2° On creuse sur la côte un bassin artificiel, que l’on garnit d’une mosaïque en opus signinuin [misivim opls, p. 2093] ; ce bassin devra avoir une profondeur de neuf pieds (2 m. 60), dont deux au- dessus du niveau de la mer, et on en couvrira le fond avec des roches et des algues. Dans l’un et l’autre sys- tème, l’essentiel est d’établir un courant continu, rien n’étant plus funeste que des eaux stagnantes ; on ouvtc donc, non seulement vers le large, mais sur les côtés, des canaux [rivi] fermés par des vannes de bronze percées de trous [cancelli]. Des loges (specus, 7-ecessus) sont préparées de distance en distance, où les poissons puissent trouver de l’ombre en été, les unes toutes droites, les autres sinueuses. Mais, avant même de mettre la main à l’œuvre, il faut s’assurer de la nature du terrain ; car tous les terrains ne conviennent pas à toutes les espèces ; d’où la nécessité de bien connaître les formes, l’anatomie et les mœurs de chaque espèce [cibaria, p. 1162]. .u point de vue de l’élevage on distingue trois catégories de terrains : 1° la vase (t),û ;, limiis) est favo- rable au poisson plat (TiXaTÛç, planus), sole, turbot, car- relet, etc , et à certains coquillages, peigne, moule, etc. ! 2" sur le sable (ïu.u.o ;, arena) vit le poisson de haute mer (-sliytoî, pelagius), dorade, ombre, etc. ; 3° sur la roche (TTSTca, saxuin), le poisson appelé pour cette raison tts- Tpaïo ;, saxatilis, et qui est le plus estimé de tous, tel que le scare, le tourd, l’oblade, etc. Enfin il faut savoir aussi que des espèces propres à certaines mers ne peuvent s’acclimater ailleurs ’^ On nourrit les hôtes du vivier avec du pain, des figues, des arbouses, du fromage, et mieux encore avec tous les déchets du marché au pois- son, têtes, intestins, etc.

On- a découvert dans les ruines romaines de Tim- gad (.Algérie) un bassin à double fond qui semble bien avoir été fait pour contenir des poissons. La cuve inférieure, exactement égale à celle du dessus, communique avec elle par deux trous qu’on pou- vait boucher à volonté ; dans les parois sont fixés horizontalement des vases en poterie qui mesurent à leur orifice m. 15 de diamètre ; les poissons, descendant de la cuve supérieure, pouvaient trouver

Plut. Lucull. 39 ; Vell. Pat. Il, 33 ; Val. Max. IX, I, 1 ; Petron. 87 ; Plin. Epist. IX, 7, 4 ; Stat. Siln. II, 2, 29 ; Gsopon. XX, 1. — " Varr. III, 3, 9 ; Colum. VIII, 16. — 13 Les viviers maritimes, à moins qu’ils n’aient un but sciculifique, sont à peu près abandonnés cbez nous, depuis que les chemins de fer ont rendu les trans- ports faciles et rapides ; la pisciculture a donc évolué en sens inverse depuis l’anti- quité. Pour les parcs à liuitres voyez plus bas. Viviers d’eau de mer dans la ville de Komc (pisciiuie nostrac urbis), où on apportait des lamproies de Keggio el de Messine : Macrob. Il, 11. — t^Ce classement, qu’on retrouve jusque chez Oppien, De pisc. I, vient d’Aristotc Anim. hist. V, 15, p. 547 ; cf. Athen. VIII. p. .135 b. Ccrlains essais cc|<endant réussirent à l’époque romaine ; v. Plin. Nat. hist. IX, 62 ; lA>iseI, IJisi. des ménogeries, p. 84-S9. Poissons de difTércotcs espèces entretenus dans une cistbuna, poème byzantin : Millin Journ. d. savants, 1$50, p. 571.