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la peinture attique principalemenl ’ : au v- siècle, les pieds du dieu sont généralement normaux, le goût de l’idéalisation, propre à l’époque, s’accommodanl mal de la dififormité d’un dieu - ; notons pourtant la persistance de la tradition archaïque sur une liydrie à figures rouges du Louvre, où le dieu est encore assis comme une femme sur son mulet et ramène sous lui ses pieds nus et tortus ’.

Pour expliquer cette difformité, laspéculation antique, suivie souvent encore par la mythographie moderne’, alléguait la nature du feu, comparant le boiteux à l’aspect vacillant de la flamme ; mais c’est là une hypothèse fragile, qui ne tient pas compte du véritable caractère de la claudication du dieu. L’épopée tardive n’était ni plus ni moins près de la réalité, quand elle expliquait la ditTormité par la chute du haut du’ ciel ’. On a pu penser, ce qui parait plus satisfaisant, que l’infirmité d’Héphaistos était une conséquence directe de son métier manuel ; c’est aux infirmes que revenait dans la vie antique le travail humiliant, tel celui de la forge, travail dédaigné des héros *. Ainsi la claudication serait un accident, une caractéristique sans signification mythique ; l’élément du feu, en se transformant humai- nement, aurait reçu les jambes torses qu’ont souvent les artisans forgerons. Il se peut pourtant que cette explication ne soit pas définitive, ni même satisfaisante. M. de ^^’ilamo^vitz, suivi aujourd’hui par M. Malten, a vu dans la claudication d’Héphaistos une indication sur sa nature primitive Le dieu originel aurait été un nain, parent des Pygmées, desTelchines et de ces Dactyles de l’Ida, qui passaient pour avoir inventé l’art de la métal- lurgie *. L’hypothèse est au moins tentante ; sans doute, le seul fait de la difformité ne suffirait pas à la démontrer ; il convient du moins d’observer que deux peintures de vases archaïques ’ montrent Hépliaistos avec des pro- portions naines. On retiendra aussi qu’Hérodote identi- fiait avec riléphaistos grec le Ptah égyptien, représenté sous la forme d’un fœtus ’". Enfin il faut donner une cer- taine importance à la légende de Lipara, d’après laquijlle, lorsqu’on déposait le soir, près du cratère d’Héphaistos, du fer brut, on le retrouvait forgé au matin". C’est là une légende populaire, pour laquelle on retrouverait de nombreux parallèles chez les ditlerenls peuples, et ces légendes sont toujours caractéristiques des petits nains des cavernes, démons malicieux et adroits, aussi habiles

1 On ne sait pas comment les deux représentations Spartiates qui sont connues par les textes figuraient H. f’ausanias, lU, t^, t5, raconte que Balbyclès avaitre- présenté sur le trône d’Amyclées TeDcbaiDement d’Hèra ; Gitiadas (cf. Pausan. Hl, 17, 3) avait aussi ûguré la délirrance de la déesse par son fils dans les bas-reliefs du temple dWthéna Chalkioikos ; sur ces représentations cf. Malten, digression dr la note 9. p. Î3i. — 2 Vases de l’époque de Périclès. Furtwaenglcr-Reiclihold-Hau- ser, I, T, i9 : II, lio, t. — 3 Louvre G Ilii ; E. Fottier, Catalogue de» vases du Louvre, p. 1009-1010. — ’ Les témoignages de Cornulus, p. 33, et Heraclite, p. 40 sq. remontent à l’ouvrage d’Apollodure, Dijl Siiy (B. Schmidl, De Cornuli theolog, compend. Dissert. Halens. XXI, 57), qui se rencontre d’ailleurs assez sou- vent lui-même avec les spéculations stoïciennes ; cL Malteu, Ueph. p. 338- 34i, qui s’appesantit sur le sens allégorique du mythe. — ô Valer. Flacc. Argonaut. 11, 88 sq. : dans VIliad. XVUl, 393 sq. le dieu est estropié aiant la chute. — 6 Cf. la scène des armes, lliad. XVlll, 369 sq. — ’ Wila- monitz, Beph. p. i41 sq. ; Reden und Vortrâge, p. 176, 1 ; Wuhl, Arch. Jahrb. XXUlOOo), p.ll50, IS. — SPhoronis, dans les ScAoi. ad Apollon. Rhod. 1,1129.

— 9 Cf. ci-dessus, p. 996, notes i ;-13. De même une peinture tombale étrusque de Véies, qui, selon toute vraîsemblauce, est une copie : Amer, Journ. of arch. XVI, 19li, i : Petersen, /(6m. Mût. XVII, 1902, p. 131 sq. ; Harmon, .Amer. Journ. l. l. (H. est représenté avec la double hache) ; Uarmon, au contraire de Petersen, interprète la peinture comme représentant une scène de chasse. Dans

■ les deux peintures de vases ci-dessus mentionnées, on n’oubliera pas que Visok’^- phalie a pu amener le peintre à réduire la taille d’M. représenté à cheval.

— 10 pourtant, en décrivant le nanisme de Ptah-Hépliaistos, Hérodote n’est amené

à tourmenter qu’à secourir les hommes ’-. Cette espèce d’aide mystérieuse revient sous toutes ses formes dans le vaste domaine des fables de lutins ". Dès lors, la clau- dication du dieu, la forme de griffes d’animal donnée à ses pieds sur certaines peintures de vases trouvent une explication directe : ce seraient des caractéristiques du nain ". Quand l’élément dieu prit la forme humaine, quand le feu souterrain devint forgeron, on peut penser qu’lléphaistos fut imaginé sous la forme d’un lutin estropié, qui, résidant sous le sol, dans la flamme, prê- tait aux hommes l’aide de son marteau de forgeron ’^

2. Le dieu forgeron. — A côté du dieu feu, contenu dans l’élément enflammé, et à côté du seigneur du feu, maître de l’élément bientôt séparé, l’épopée homérique connaît déjà une troisième formule : Iléphaislos forge- ron ’*. Celte personnification, avec laquelle le processus d’antliropomorphisme a atteint sa dernière phase, se com- prend mieux, si l’on remonte à la forme originelle, au feu terrestre. Quoi d’étrange à supposer, là où des flammes s’élevaient du sol sans cause apparente, la pré- sence cachée d’un forgeron divin, travaillant dans un atelier, à la manière commune des artisans mortels ? C’est sur le Mosychlos qu’a été installée la première forge d’Héphaistos, celle où Prométiiée déroba la flamme vivifiante. Le feu du Mosychlos est appelé par Sophocle •/jsataTOTE’jxTov (TÉXaç Mog6/Xoj ". De là la tradition se transporta vers les volcans occidentaux, à la fois par la Thrace, semble-t-il, et par la colonisation cnidienne des îles Lipari. Du centre nouveau du culte ainsi créé en Occident Héphaislos devait progresser vers l’Ouest, où quelques-unes de ses installations nous sont connues". .Mais le point principal vers l’Ouest est ce groupe des îles Lipari, où s’est surtout développée la légende du forgeron (voir plus loin. Section l). D’après les fables locales, on a rappelé justement le parallélisme des rap- ports entre le feu terrestre et le forgeron magicien, tel qu’il est connu par ailleurs dans l’Asie orientale, près de la petite ville de Kama, en Birmanie : là des gaz s’échap- pent d’une crevasse du sol et brûlent durant la saison sèche ; on croit qu’ils viennent de la forge d’un forge- ron fantôme, qui continue de travailler après sa mort ; une fois par an, tous les feux sont éteints dans les maisons : on les allume à la flamme magique ; il est facile de reconnaître là le syncrétisme des légendes lipariennes et du culte lemnien "*. C’est donc à Lemnos,

qu’à la comparaison avec les dieux Patèqucs phéniciens (III, 37). — 11 Scfiol. ad Apoll. Rhod. IV, 761, d’après Pytliéas, !. -[«i ; itieio5» ;6’c/io(. ad Callimach. Bymn. ad Artem. 46. — 12 Malten, Arch. Jahrb. p. 258 sq., cite pour parallèle A. Kuhn> Weslfttlische Sagen. Gebriïuche und Mdrchen. — t3 Cf. Malten, ihid. ; certaines légendes mentionnent l’aide du forgeron, sans le désigner ouvertement comme un nain ; sur le rapprochement entre II. et les nains cf. J. Grimni, Deutsche Mijthol.. p. 390, 370 ; 111, 109, 120, 137. — •’ Rappelons encore ici la légende naxienne, d’après laquelle H. fut élevé par le nain Kédalion, celui. là môme qui fut porté au-dessus des flots sur le dos du géant Orion ; ci-dessus, p. 9S3, et notes 8 et 28 ; p. 984, note 1_ Une légende avait fait de Kédalion le père d’il. ; cf. Cic. De nat. deor. Kl, 22, 35 ; Lydus, De mens. IV, S6 ; il se pourrait r|ue le nain du relief du Louvre, reproduit dans le Lexic. de Roscher, II, p. I6S1 (notre fig. 933, et S. Reinacb, liépert. de ta stat. I, p. 76), fût à interpréter comme Kédalion. Sur la légende de Voliîndr-Wieland, d’après la Oguration d’une cassette ruriif)ue du viii« siècle, cf. Malten, l. t. p. 239, fig. 12 ; Volundr-Wieland est un Klfe, parent des lutins, être mythique fort répandu dans le folk-lore germanii|ue. — l-* Sur la légende de Lipara, et son rapport avec la colonisation cnidienne, cf. ci.dessus, p. 991, noie 3. — 16 lliad. XVIII, 369 sq. — n Philoct. 957 ; cf. Aesch. Prometheus, .NauckS, 193 : Cic. De nat. deor. III, 22, 55 ; Sehol. ad lliad. XIV. 231 ; lliad. XXI, 342. — 18 II conserve toujours dans l’Europe occidentale son rôle de génie souterrain du feu et de forgeron ; cf. près la nouvelle Carthage, tes ’HfaîvTo ;^ jouv» ; (Polyb. X, 10, 11 ; Anzeiger, 19IS, 231) ; une monnaie de Malaca (Hunier, coll. m, 65SI, nne autre d’Espagne ( ?l, sans précision de lieu (ihid. III, 733), présentent H. comme gardie» des trésors souterrains. — ’9 Bastian, Die Vôlksr