Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/438

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SIXIÈME SOIRÉE.


La sultane dit à sa chatouilleuse : « Mademoiselle, approchez-vous, et arrangez mon oreiller : il est trop bas… Fort bien… Madame seconde, continuez. Je prévois que ce qui doit suivre sera plus de votre district que de celui du second émir. S’il prenait en fantaisie à Mangogul d’assister une seconde fois à nos entretiens, vous tousserez deux fois. Et commencez. »


la seconde femme.

Tout ce qui n’avait point cet éclat qui frappe d’abord déplaisait souverainement à Génistan. Sa vivacité naturelle ne lui permettait ni d’approfondir le mérite réel ni de le distinguer des agréments superficiels. C’était un défaut national dont la fée n’avait pu le corriger, mais dont elle se flatta de prévenir les effets : elle prévit que, si Polychresta restait dans ses atours négligés, le prince, qui avait malheureusement contracté à la cour de son père et à celle du Tongut le ridicule de la grande parure, avec ce ton qui change tous les six mois, la prendrait à coup sûr pour une provinciale mise de mauvais goût et de la conversation la plus insipide. Pour obvier à cet inconvénient, Vérité fit avertir Polychresta qu’elle avait à lui parler. Elle vint. « Vous soupirez, lui dit la fée, et depuis longtemps, pour le fils de Zambador : je lui ai parlé de vous ; mais il m’a paru peu disposé à ce que nous désirons de lui. Il s’est entêté dans ses voyages d’une jeune folle qui n’est pas sans mérite, mais avec laquelle il ne fera que des sottises : je voudrais bien que vous travaillassiez à lui arracher cette fantaisie ; vous le pourriez, en aidant un peu à la nature et en vous pliant au goût du prince et aux avis d’une bonne amie : par exemple, vous avez là les plus beaux yeux du monde ; mais ils sont trop modestes ; au lieu de les tenir toujours baissés, il faudrait les relever et leur donner du jeu : c’est la chose la plus facile. Cette bouche est petite, mais elle est sérieuse ; je l’aimerais mieux riante. J’abhorre le rouge ; mais je le tolère, lorsqu’il s’agit d’engager un homme aimable. Vous ordonnerez donc à vos femmes d’en avoir. On abattra, s’il vous plaît, cette forêt de cheveux, qui rétrécit votre front ; et vous quitterez vos cornettes : les femmes n’en