Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portent que la nuit. Pour ces fourrures, elles ne sont plus de saison ; mais demain je vous enverrai une personne qui vous conseillera là-dessus, et dont je compte que vous suivrez les conseils, quelque ridicules que vous puissiez les trouver. » Polychresta allait représenter à la fée qu’elle ne se résoudrait jamais à se métamorphoser de la tête aux pieds, et qu’il ne lui convenait pas de faire la petite folle ; mais Vérité, lui posant un doigt sur les lèvres, lui commanda de se parer, et de ne rien négliger pour captiver le prince.

Le lendemain matin, la fée Churchille, ou dans la langue du pays, Coquette, arriva avec tout l’appareil d’une grande toilette. Une corbeille, doublée de satin bleu, renfermait la parure la plus galante et du goût le plus sûr ; les diamants, l’éventail, les gants, les fleurs, tout y était, jusqu’à la chaussure : c’était les plus jolies petites mules qu’on eût jamais brodées. La toilette fut déployée en un tour de main, et toutes les petites boîtes arrangées et ouvertes : on commença par lui égaliser les dents, ce qui lui fit grand mal ; on lui appliqua deux couches de rouge ; on lui plaça sur la tempe gauche une grande mouche à la reine ; de petites furent dispersées avec choix sur le reste du visage : ce qui acheva cette partie essentielle de son ajustement. J’oubliais de dire qu’on lui peignit les sourcils, et qu’on lui en arracha une partie, parce qu’elle en avait trop. On répondit aux plaintes qui lui échappèrent dans cette opération, que les sourcils épais étaient de mauvais ton. On ne lui en laissa donc que ce qu’il lui en fallait pour lui donner un air enfantin ; elle supporta cette espèce de martyre avec un héroïsme digne d’une autre femme et de l’amant qu’elle voulait captiver. Churchille y mit elle-même la main, et épuisa toute la profondeur de son savoir, pour attraper ce je ne sais quoi, si favorable à la physionomie : elle y réussit ; mais ce ne fut qu’après l’avoir manqué cinq ou six fois. On parvint enfin à lui mettre des diamants. Churchille fut d’avis de les ménager, de crainte que la quantité n’offusquât l’éclat naturel de la princesse : pour les femmes, elles lui en auraient volontiers placé jusqu’aux genoux, si on les avait laissées faire. Puis on la laça. On lui posa un panier d’une étendue immense, ce qui la choqua beaucoup : elle en demanda un plus petit. « Eh ! fi donc, lui répondit Churchille ; pour peu qu’on en rabattît, vous auriez l’air d’une marchande en habit de noces, et sans