Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/205

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sés ; l’un de régularité qui nous en impose de jour, un autre de déréglement qui remplit la nuit ; voilà ce qui m’accable… Que, malgré sa fierté naturelle, il se soit abaissé jusqu’à corrompre des valets ; qu’il se soit rendu maître des portes de ma maison ; qu’il attende que je repose ; qu’il s’en informe secrètement ; qu’il s’échappe seul, à pied, toutes les nuits, par toute sorte de temps, à toute heure ; c’est peut-être plus qu’aucun père ne puisse souffrir, et qu’aucun enfant de son âge n’eût osé… Mais avec une pareille conduite, affecter l’attention aux moindres devoirs, l’austérité dans les principes, la réserve dans les discours, le goût de la retraite, le mépris des distractions… Ah ! mon ami !… Qu’attendre d’un jeune homme qui peut tout à coup se masquer, et se contraindre à ce point ?… Je regarde dans l’avenir ; et ce qu’il me laisse entrevoir, me glace… S’il n’était que vicieux, je n’en désespérerais pas ; mais s’il joue les mœurs et la vertu !…

Germeuil.

En effet, je n’entends pas cette conduite ; mais je connais votre fils. La fausseté est de tous les défauts le plus contraire à son caractère.

Le père de famille.

Il n’en est point qu’on ne prenne bientôt avec les méchants ; et maintenant avec qui penses-tu qu’il vive ?… Tous les gens de bien dorment quand il veille… Ah ! Germeuil !… Mais il me semble que j’entends quelqu’un… c’est lui peut-être… éloigne-toi.



Scène VI


LE PÈRE DE FAMILLE, seul.
(Il s’avance vers l’endroit où il a entendu marcher. Il écoute, et dit tristement :)


Je n’entends plus rien. (Il se promène un peu, puis il dit :) Asseyons-nous. (Il cherche du repos ; il n’en trouve point, et il dit :) Je ne saurais… quels pressentiments s’élèvent au fond de mon âme, s’y succèdent et l’agitent !… Ô cœur trop sensible d’un père, ne peux-tu te calmer un moment !… À l’heure qu’il est, peut-être il perd sa