Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/151

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Française ou au Gymnase ; mais le choix que je fais me paraît meilleur, d’abord à cause des qualités du directeur, mais aussi particulièrement à cause de son apparence, — permettez-moi de vous le dire, — paradoxale.

Je me suis dit :

M. Hostein a été l’ami de Balzac. — N’est-ce pas vous, monsieur, qui avez si bien fait la mise en scène de la Marâtre ? — M. Hostein doit parfaitement bien comprendre la valeur d’un ouvrage qui a l’air d’un de ces rares précurseurs du théâtre que rêvait Balzac.

Dans les théâtres subventionnés, rien ne se fait, rien ne se conclut, rien ne marche ; tout le monde y est timide et bégueule.

Puis, il serait curieux de vérifier si, définitivement, ce public du boulevard, si méprisé, ne serait pas apte à comprendre et à applaudir un ouvrage d’une merveilleuse portée, — je ne veux pas prononcer le mot littéraire, qui appartient à l’affreux argot de notre époque.

J’ai pensé que les succès infatigables de votre théâtre vous autorisaient à faire une éclatante tentative sans imprudence, et que les Cosaques et le Sanglier [des Ardennes] pouvaient bien, — à mettre les choses au pire, — payer la bienvenue de Diderot.

Si je voulais surexciter votre orgueil, je pourrais vous dire qu’il est digne de vous de perdre de l’argent avec ce grand auteur, mais malheureusement je suis obligé de vous avouer que je suis convaincu qu’il est possible d’en gagner.

Enfin, — irai-je jusqu’au bout ? car ici moi, inconnu de vous, j’ai l’air d’empiéter indiscrètement sur vos droits et vos fonctions, — il m’a semblé qu’un acteur merveilleux par sa véhémence, par sa finesse, par son caractère poétique, un acteur qui m’a ébloui dans les Mousquetaires, — j’ignore totalement si vous pensez comme moi, — j’ai présumé, dis-je, que M. Rouvière pourrait trouver dans ce personnage de Diderot, écrit par Diderot (M. Hardouin), personnage où la sensibilité est unie à l’ironie et au cynisme le plus bizarre, un développement tout nouveau pour son talent.

Tous les personnages (ceci est une curiosité) sont vrais. M. Poultier, le commis à la marine, est mort très-tard ; j’ai connu quelqu’un qui l’a connu.

Les femmes sont nombreuses, toutes amusantes et toutes charmantes. Cet ouvrage est, à proprement parler, le seul ouvrage très-dramatique de Diderot. Le Fils naturel et le Père de famille ne peuvent lui être comparés.

Quant aux retouches, — je désire que votre sentiment s’accorde avec le mien, — je crois qu’elles peuvent être très-rares et n’avoir trait qu’à des expressions vieillies, à des habitudes d’ancienne jurisprudence, etc., etc. En d’autres termes, je crois qu’il s Tait peut-être bon de commettre, en faveur du public moderne, quelques innocents anachronismes.

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Ch. Baudelaire.
57, rue de Seine.


M. Hostein répondit :


LETTRE DE M. HOSTEIN À CH. BAUDELAIRE.
Paris, le 11 novembre 1854.
Monsieur,

Je vous remercie de la confiance que vous avez en moi.

Je vous remercie également d’avoir pensé à mon théâtre pour lui offrir a que