Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/39

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SCENE VI,

LE PÈRE, seul. Il se promène en silence et dit. Ma tête s’embarrasse et se perd… Ce n’est pas la mort que je redoute, c’est ce spectacle… ma femme… ses enfants… Non, non, je ne le verrai point… Je n’en puis supporter l’idée ; je ne le verrai point. Ah ! plutôt… (Il s’avance vers son fusil, il l’arme.) Où suis-je ? Des ténèbres m’environnent, les arbres de la forêt se pressent sur moi ; des bêtes féroces s’élancent sur ma femme et sur mes enfants ; j’entends un long mugissement… Dieu ! Dieu ! est-ce toi qui me parles ?… Oui, c’est toi… Je revois la lumière. Dieu ! arrête ma main, secours-moi. Dieu de miséricorde ! toi qui m’as soutenu jusqu’à ce moment, ne te retire pas de moi ; relève mon âme abattue, écarte un projet sinistre de ma pensée. Tu as conduit ma destinée ; les peines sans nombre que tu m’as départies, je les ai acceptées avec soumission, tu le sais. Rappelle sur mes lèvres l’éloge de ta sagesse et écarte de mon esprit le doute de ta providence. C’est assez, grand Dieu ! c’est assez… ou si ta justice n’est pas encore satisfaite, voilà ma tête, frappe sur elle tes derniers coups ; mais épargne ma femme, épargne mes enfants… J’égarai son innocence, je séduisis sa faiblesse ; il n’y a que moi de coupable. S’il faut que tu frappes encore, frappe le séducteur, le voilà, c’est moi, c’est moi… Mais les ténèbres renaissent, la forêt, la montagne, le ciel disparaît derechef à mes regards, le long mugissement redouble… Dieu, Dieu puissant ! je t’entends, tu m’ordonnes de vivre… Je vivrai… Ô ma femme ! ô mes enfants ! accourez. Dieu est descendu dans cette forêt, il y est. Prosternons-nous devant Dieu… Mais cette infortunée, je la laisse… Que fait-elle à présent ? Allons… je ne puis… Qui sait ce que sa présence, celle de ses enfants… Ô Dieu ! ne m’abandonne pas… La voilà !… Ni la fatigue, ni la disette, ni la douleur n’ont pu détruire tous ses charmes… Qu’elle est encore belle !… Déjà je sens la douceur de son âme passer au fond de la mienne… Mon cœur se calme à son aspect… Viens, créature céleste, viens,