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LVI

À LA PRINCESSE DASHKOFF[1]
Paris, le 3 avril 1771.
Madame,

Le ciel sait les reproches que vous devez m’avoir faits. Je vous entends d’ici vous écrier : « Non-seulement il avait promis de m’écrire, mais encore il paraissait jaloux de garder une place dans mon souvenir ; et voici trois mois passés sans qu’une seule ligne soit tombée de sa plume. » Et Mlle Caminski aussi, qui peut-être aurait eu bonne envie de glisser un mot en ma faveur, n’était que les apparences sont si fort contre moi, n’aura-t-elle pas perdu de la bonne opinion qu’elle entretenait à l’égard de ma nation et mis à son compte une faute dont je suis seul coupable ? Si le philosophe Diderot est surpris en flagrant délit d’inconstance, de légèreté ; s’il prodigue les promesses et semble ne les faire que pour y manquer, quelle opinion, dira-t-elle, pourra-t-on se former des autres ? On peut remarquer que c’est là le sophisme particulier à tous ceux qui ont été déçus en amour ou en amitié. Si quelqu’un nous a trompés, il n’y a plus de fonds à faire sur les amis ; si quelqu’un a joué à notre égard un rôle de fausseté, adieu les amours. Eh bien, madame, en dépit de mon silence, je suis toujours le même ; toujours rempli de dévouement et de respect pour vous, mais toujours, hélas ! le plus occupé des hommes. J’en ai agi avec vous, princesse, exactement comme j’ai agi avec mon père, ma mère, mon frère, ma sœur, que j’aime tous de tout mon cœur, et auxquels je n’ai jamais donné signe de vie, excepté dans les occasions où j’avais la bonne fortune de leur être de quelque utilité. Montrez-moi seulement, madame, en quoi je pourrai m’employer pour vous, et vous apprendrez alors de quelle scrupuleuse exactitude je suis capable.

  1. Publiée dans les Mémoires de la princesse, traduct. A. des Essarts, t. IV, avec deux autres lettres datées de Saint-Pétersbourg qu’on trouvera plus loin.