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qu’il l’assure, & il tient souvent à des causes dont l’influence est irrésistible pour les nations, quoiqu’elle pût être nulle pour quelques individus ; mais du moins est-il certain que nous comparons très différemment, & cela suffit ici : car c’est) « ce qui fait, ajoute-t-il, cette grande différence qui est entre les langues. Ce que les Latins appellent fenestra, les Espagnols l’appellent ventana, les Portugais janella ; nous nous servons aussi de ce nom croisée pour marquer la même chose. Fenestra, ventus, janua, crux, sont des mots latins. Le françois, l’espagnol, le portugais viennent du latin », (c’est-à-dire, que ces trois idiômes ont emprunté beaucoup de mots dans la langue latine, & c’est tout : ) « mais les Espagnols considérant que les fenêtres donnent passage aux vents, les appellent ventana de ventus : les Portugais ayant regardé les fenêtres comme de petites portes, ils les ont appellées janella de janua : nos fenêtres étoient autrefois partagées en quatre parties avec des croix de pierre ; on les appelloit pour cela des croisées de crux : les Latins ont considéré que l’usage des fenêtres est de recevoir la lumiere ; le nom fenestra vient du grec φαίνειν qui signifie reluire. C’est ainsi que les différentes manieres de voir les choses portent a leur donner différens noms ». Et c’est ainsi, puis-je ajouter, que la diversité des vûes introduit en divers lieux des mots très-différens pour exprimer les mêmes idées totales ; ce qui diversifie les idiômes, quoiqu’ils viennent tous originairement d’une même source. Mais ces différens mots, risqués d’abord par un particulier qui n’en connoît point d’autre pour exprimer ses idées telles qu’elles sont dans son esprit, n’en deviennent les signes universels pour toute la nation, qu’après qu’ils ont passé de bouche en bouche dans le même sens ; & ce n’est qu’alors qu’ils appartiennent à l’idiôme national. Ainsi c’est l’usage qui autorise les mots, qui en détermine le sens & l’emploi, qui en est l’instituteur véritable & l’unique approbateur.

Mais d’où nous vient le terme de mot ? On trouve dans Lucilius, non audet dicere muttum (il n’ose dire un mot) ; & Cornutus, qui enseigna la Philosophie à Perse, & qui fut depuis son commentateur, remarque sur la premiere satyre de son disciple, que les Romains disoient proverbialement, mutum nullum emiseris (ne dites pas un seul mot). Festus témoigne que mutire, qu’il rend par loqui, se trouve dans Ennius ; ainsi mutum & mutire, qui paroissent venir de la même racine, ont un fondement ancien dans la langue latine.

Les Grecs ont fait usage de la même racine, & ils ont μῦθος, discours ; μυθητης : parleur ; & μυθεῖν, parler.

D’après ces observations, Ménage dérive mot du latin mutum ; & croit que Périon s’est trompé d’un degré, en le dérivant immédiatement du grec μυθεῖν.

Il se peut que nous l’ayons emprunté des Latins, & les Latins des Grecs ; mais il n’est pas moins possible que nous le tenions directement des Grecs, de qui, après tout, nous en avons reçu bien d’autres : & la décision tranchante de Ménage me paroît trop hasardée, n’ayant d’autre fondement que la priorité de la langue grecque sur la latine.

J’ajoute qu’il pourroit bien se faire que les Grecs, les Latins, & les Celtes de qui nous descendons, eussent également trouvé ce radical dans leur propre fonds, & que l’onomatopée l’eût consacré chez tous au même usage, par un tour d’imagination qui est universel parce qu’il est naturel. Ma, mê, mé, mi, meu, mo, mu, mou, sont dans toutes les langues les premieres syllabes articulées, parce que m est la plus facile de toutes les articulations (voyez Langue, art. III. S. ij. n. 1.) ; ces syllabes doi-

vent donc se prendre assez naturellement pour signifier

les premieres idées qui se présentent ; & l’on peut dire que l’idée de la parole est l’une des plus frappantes pour des êtres qui parlent. On trouve encore dans le poëte Lucilius, non laudare hominem quemquam, nec mu facere unquàm ; où l’on voit ce mu indéclinable, montré comme l’un des premiers élémens de la parole. Il est vraissemblable que les premiers instituteurs de la langue allemande l’envisagerent à-peu-près de même, puisqu’ils appellerent mut, la pensée, par une métonymie sans doute du signe pour la chose signifiée : & ils donnerent ensuite le même nom à la substance de l’ame, par une autre métonymie de l’effet pour la cause. Voyez Métonymie. (B. E. R. M.)

Mot, Terme, Expression, (Synon.) Le mot, dit l’abbé Girard, est de la langue ; l’usage en décide. Le terme est du sujet ; la convenance en fait la bonté. L’expression est de la pensée ; le tour en fait le mérite.

La pureté du langage dépend des mots ; sa précision dépend des termes ; & son brillant dépend des expressions.

Tout discours travaillé demande que les mots soient françois ; que les termes soient propres ; & que les expressions soient nobles.

Un mot hasardé choque moins qu’un mot qui a vieilli. Les termes d’art sont aujourd’hui moins ignorés dans le grand monde ; il en est pourtant qui n’ont de grace que dans la bouche de ceux qui font profession de ces arts. Les expressions trop recherchées font à l’égard du discours, ce que le fard fait à l’égard de la beauté du sexe ; employées pour embellir, elles enlaidissent. (D. J.)

Mot consacré, (Gramm.) On appelle mots consacrés certains mots particuliers qui ne sont bons qu’en certains endroits ou occasions ; & on leur a peut-être donné ce nom, parce que ces mots ont commencé par la religion, dont les mysteres n’ont pû être exprimés que par des mots faits exprès. Trinité, incarnation, nativité, transfiguration, annonciation, visitation, assomption, fils de perdition, portes de l’enfer, vase d’élection, homme de péché, &c. sont des mots consacrés, aussi-bien que cène, cénacle, fraction de pain, actes des Apôtres, &c.

De la religion on a étendu ce mot de consacré aux Sciences & aux Arts ; desorte que les mots propres des Sciences & des Arts s’appellent des mots consacrés, comme gravitation, raréfaction, condensation, & mille autres, en matiere de Physique ; allegro, adagio, aria, arpeggio, en Musique, &c.

Il faut se servir sans difficulté des mots consacrés dans les matieres de religion, Sciences & Arts ; & qui voudroit dire, par exemple, la fête de la naissance de Notre-Seigneur, la fête de la visite de la Vierge, ne diroit rien qui vaille : l’usage veut qu’on dise la nativité & la visitation, en parlant de ces deux mysteres, &c. Ce n’est pas qu’on ne puisse dire la naissance de Notre-Seigneur, & la visite de la Vierge : par exemple, la naissance de Notre-Seigneur est bien différente de celle des princes ; la visite que rendit la Vierge à sa cousine n’avoit rien des visites profanes du monde. L’usage veut aussi qu’on dise la cène & le cénacle ; & ceux qui diroient une chambre haute pour le cénacle, & le souper pour la cène, s’exprimeroient fort mal. (D. J.)

Mot bon, (Opérat. de l’esprit.) un bon mot, est un sentiment vivement & finement exprimé ; il faut que le bon mot naisse naturellement & sur le champ ; qu’il soit ingénieux, plaisant, agréable ; enfin, qu’il ne renferme point de raillerie grossiere, injurieuse, & piquante.

La plûpart des bons mots, consistent dans des tours d’expressions, qui sans gêner, offrent à l’esprit deux