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sens également vrais ; mais dont le premier qui saute d’abord aux yeux, n’a rien que d’innocent, au lieu que l’autre qui est le plus caché, renferme souvent une malice ingénieuse.

Cette duplicité de sens, est dans un homme destitué de génie, un manque de précision & de connoissance de la langue ; mais dans un homme d’esprit, cette même duplicité de sens est une adresse, par laquelle il fait naître deux idées différentes ; la plus cachée dévoile à ceux qui ont un peu de sagacité une satyre délicate, qu’elle recele à une pénétration moins vive.

Quelquefois le bon mot n’est autre chose que l’heureuse hardiesse d’une expression appliquée à un usage peu ordinaire. Quelquefois aussi la force d’un bon mot ne consiste point dans ce qu’on dit, mais dans ce qu’on ne dit pas, & qu’on fait sentir comme une conséquence naturelle de nos paroles, sur laquelle on a l’adresse de porter l’attention de ceux qui nous écoutent.

Le bon mot est plutôt imaginé que pensé ; il prévient la méditation & le raisonnement ; & c’est en partie pour quoi tous les bons mots ne sont pas capables de soutenir la presse. La plûpart perdent leur grace, dès qu’on les rapporte détachés des circonstances qui les ont fait naître ; circonstances qu’il n’est pas aisé de faire sentir à ceux qui n’en ont pas été les témoins.

Mais, quoique le bon mot ne soit pas l’effet de la méditation, il est sûr pourtant que les saillies de ceux qui sont habitués à une exacte méthode de raisonner, se sentent de la justesse de l’esprit. Ces personnes ont enseigné à leur imagination, quelque vive qu’elle soit, à obéir à la séverité du raisonnement. C’est peut-être faute de cette exactitude de raisonnement, que plusieurs anciens se sont souvent trompés sur la nature des bons mots, & de la fine plaisanterie.

Ceux qui ont beaucoup de feu, & dont l’imagination est propre aux saillies & aux bons mots, doivent avoir soin de se procurer un fonds de justesse & de discernement qui ne les abandonne pas même dans leur grande vivacité. Il leur importe encore d’avoir un fonds de vertu qui les empêche de laisser rien échapper qui soit contraire à la bienséance, & aux ménagemens qu’ils doivent avoir pour ceux que leurs bons mots regardent. (D. J.)

Mot du guet, ou simplement mot, est un mot ou sentence, en terme de guerre, qui sert aux soldats à se reconnoître pendant la nuit, & à découvrir les espions, ou autres gens mal intentionnés : on s’en sert aussi pour prévenir les surprises. Dans une armée, le mot se donne par le général au lieutenant ou au major général de jour, lequel le donne au major de brigade : de-là-il passe aux aides-majors, qui le donnent aux officiers de l’état-major, ensuite aux sergens de chaque compagnie, qui le donnent à leurs subalternes.

Dans les garnisons, après que les portes sont fermées, le commandant donne le mot au major de la place, & il lui dit ce qu’il y a à faire pour le lendemain. Il faut remarquer que celui qui commande dans un château, fort, réduit, ou citadelle, doit tous les jours envoyer prendre l’ordre de celui qui commande dans la ville, quand même celui ci seroit d’un rang inférieur au sien, sans que celui qui commande dans la ville, puisse pour cela prétendre aucun commandement dans la citadelle, château, fort, ou réduit, à-moins qu’il n’en fût gouverneur. Après que les portes font fermées, le major se rend sur la place, où il trouve les sergens de la garnison rangés en cercle avec chacun un caporal de la compagnie derriere lui. Les caporaux des compagnies dont les sergens manquent, se placent hors du cer-

cle, joignant les sergens dans le rang de leurs compagnies ;

les tambours majors des bataillons à deux pas derriere les sergens ; à quatre pas du cercle, on place les caporaux qui ont suivi leurs sergens, présentant leurs armes en-dehors, pour empêcher que qui que ce soit n’approche du cercle, pour écouter l’ordre. Il ne doit entrer dans le cercle que le major, l’aide-major de la place, & les officiers majors des régimens, le caporal du consigne du corps de la place portant le falot, & celui qui tient le registre de la garde des rondes.

Le major entre dans le cercle avec les officiers majors des régimens qui assistent à l’ordre, & les autres qu’on a déja dit. Il dit aux sergens & aux tambours majors s’il y a quelque chose qui les regarde, ce qu’il y a à faire pour le lendemain, comme revûe, conseil de guerre, ou autre chose, si quelque bataillon doit prendre les armes pour faire l’exercice, & tout le reste ; s’il y a conseil de guerre, il demande aux majors des régimens le nombre d’officiers nécessaire pour le tenir. Il fait ensuite nommer les officiers qui doivent monter la garde le lendemain, & ceux qui doivent faire la ronde cette même nuit ; il fait tirer leur ronde par leurs sergens ; il donne le mot aux officiers majors des régimens, & après aux sergens, en commençant par celui de la premiere compagnie, à qui il le dit à l’oreille. Ce sergent le donne à celui qui le suit, & ainsi de l’un à l’autre, jusqu’à ce que le mot revienne au major par le sergent de la gauche, ainsi qu’il l’a donné. S’il ne lui revenoit pas comme il le lui a donné, il regarde à quel sergent il a manqué, le redresse jusqu’à ce que tous le sachent, après quoi il les congédie. Les sergens doivent être découverts dès qu’on donne le mot, jusqu’à ce que le dernier l’ait rendu au major. Lorsqu’il y a de la cavalerie dans une place, elle reçoit l’ordre du major de la place tout ainsi que l’infanterie.

Dès que l’ordre est donné & le cercle rompu, les sergens de chaque bataillon forment un cercle à part ; le tambour major derriere eux, le major, ou aide major du bataillon leur dit ce qu’il y a à faire pour le détail du bataillon, & tout ce que le commandant lui a dit. Pour cela il faut que le major aille tous les jours chez le commandant du bataillon quelque tems avant qu’on donne l’ordre, lui demander ce qu’il y a de particulier à ordonner. Il est à observer que si le commandant veut faire prendre les armes, il faut qu’il en fasse demander la permission au commandant de la place, lequel le fait dire au cercle général par le major. Après que le major du bataillon a donné l’ordre à son cercle particulier, les sergens vont le porter à leurs officiers, à qui ils doivent dire bien fidelement tout ce qui a été dit à l’ordre. Le major va le porter au colonel, à l’aide-major, au lieutenant colonel, quoique le colonel soit présent. S’ils n’y sont ni l’un ni l’autre, l’officier major va le porter à celui qui commande le régiment, l’aide-major de la place va le porter à l’inspecteur général, un sergent va le porter à l’inspecteur particulier. L’usage est le même pour l’ingénieur général, ou directeur des fortifications, & l’ingénieur particulier… & le dernier sergent de la garnison qui se trouve être de garde, va le porter au lieutenant ou commissaire d’artillerie qui est dans la place.

Les sergens qui sont de garde, n’assistent pas à ce cercle particulier, ni ne doivent aller porter l’ordre à leurs officiers de compagnie, mais seulement à ceux avec lesquels ils sont de garde. Il doit y avoit tous les jours un sergent par compagnie avec son caporal à l’ordre ; & s’il y en a un de garde, son camarade doit s’y trouver pour l’aller porter à ses officiers, & pour le détail de la compagnie, dont celui