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Par ce moyen elles remplissent mieux leurs fonctions, se ferment & s’ouvrent plus facilement. 3°. De ce cartilage s’éleve cette palissade de poils durs & roides, d’un grand usage pour garantir l’œil contre les injures du dehors, pour détourner les petits corpuscules, pour empêcher la lumiere trop vive, &c. & en même tems pour laisser au-travers de leurs interstices un passage suffisant aux rayons qui partent des objets pour venir jusqu’aux yeux.

Ajoutons qu’afin d’empêcher que l’air de dehors ne desseche la premiere surface de la prunelle qui y est exposée, & qu’il ne s’y fasse une espece d’épiderme comme à tout le reste du corps, il y a une humeur que l’œil a toujours en reserve dans des glandes cachées sous les paupieres, & qu’il envoye par des conduits particuliers vers leurs bords, afin que passant & repassant souvent sur le globe de l’œil, comme elles font, il soit toujours humecté par cette humeur qui y est répandue ; elle produit sur l’œil le même effet que le vernis sur les tableaux, donnant à leurs couleurs plus d’éclat & de vivacité.

Cette action des paupieres sert encore à nettoyer & à essuyer l’œil, en emportant la poussiere, & les autres petits corps qui peuvent s’attacher a cet organe, & l’incommoder. Cet usage a paru de telle importance à la nature, que les brutes n’ayant pas le moyen de se frotter les yeux comme l’homme qui a des mains, elle leur a donné une troisieme paupiere, qu’elle a mis en-dedans sous les deux autres ; en sorte que cette paupiere se glissant au-travers, va de droit à gauche, & de gauche à droite, pendant que les deux autres se haussent & se baissent pour pouvoir essuyer l’œil en tout sens. C’est à cette paupiere que sont attachées les glandes, qui fournissent l’humeur huileuse qui est répandue sur la cornée pour la nettoyer.

Le singe est le seul entre toutes les bêtes, qui de même que l’homme n’a point cette troisieme paupiere ; parce qu’ayant des mains comme lui ; il s’en peut servir pour se frotter les yeux, & en faire sortir ce qui les incommode.

Les organes qui font remuer cette paupiere des animaux, ont une méchanique bien industrieuse ; elle consiste dans une corde qui passe dans une poulie, & qui étend sur l’œil une membrane, comme on tire un rideau devant une fenêtre ; mais il faut beaucoup plus d’artifice pour cette action, qu’il n’y en a dans celle de la poulie ; parce que pour étendre cette membrane, il est nécessaire que le muscle qui la tire fasse un fort long chemin, ce qui est difficile à un muscle, qui ne peut être guere long, à cause du peu d’espace qu’il a pour se loger.

Les poissons n’ont point ordinairement cette troisieme paupiere ; le poisson appellé morgan, qui est une espece de galeus, l’a située autrement que les autres animaux ; car elle est tirée en-bas par ses fibres propres, & relevée en-haut par un muscle. Cette paupiere se trouve aussi dans les poissons, qui comme le veau marin sortent quelquefois de l’eau pour venir sur terre ; peut-être c’est parce que l’œil des poissons qui sont toujours dans l’eau, n’a pas besoin de paupiere qui le conserve & le garantisse de la poussiere qui vole en l’air, à laquelle l’œil du veau marin qui demeure long-tems sur terre, est exposé.

On n’est pas maître du mouvement des paupieres, c’est ma derniere remarque ; aussi est-ce avec raison qu’autrefois à Rome, on prit pour un prodige la fermeté d’un gladiateur qui retenoit le mouvement de ses paupieres, & s’empêchoit de siller les yeux quand il vouloit, lorsqu’on lui portoit des coups au visage ; car quoique le mouvement des paupieres soit libre, il devient à la longue nécessaire, & très-souvent involontaire. On n’est pas maitre de tenir les paupieres élevées lorsque le sommeil est pressant, ou que les

yeux sont fatigués ; ce n’est pas cependant une chose particuliere aux yeux ; la nature a fait les organes des piés & des mains soumis à notre volonté, quoique notre volonté n’en dispose pas toujours. Qu’un homme tienne dans sa main quelque chose de précieux, & qu’il veut conserver au péril de sa vie ; s’il vient alors à broncher inopinément, étant abordé par un voleur, il lâchera ce qu’il tient pour mettre les mains au-devant de lui. La volonté n’est point la maîtresse d’un mouvement automatique qui va directement à notre conservation. Le Chevalier de Jaucourt.

Paupieres, maladie des (Médecine.) les paupieres sont sujettes à plusieurs maladies dont nous parcourrons les principales, & nous renvoyons les autres sous leurs articles particuliers.

Les enfans viennent quelquefois au monde avec les paupieres d’un œil, ou des deux yeux, unies ensemble en tout ou en partie. Il est vrai que c’est un jeu rare de la nature, & beaucoup plus commun par accident ou maladie, que par vice de conformation. Mais quelle qu’en soit la cause, on ne sauroit croire combien il est essentiel de charger de l’opération un chirurgien qui ait de l’expérience, de l’adresse, & la main sure pour ne point endommager l’œil. Nous parlerons de cette concrétion des paupieres à la fin de cet article.

Les paupieres sont fort sujettes à des tubercules & excroissances de différentes grandeurs & figures. Si l’excroissance est petite, rouge, dure, immobile, & située au-dessus des cils, on l’appelle orgeoles, à cause qu’elle a la figure d’un grain d’orge. Quelquefois cette petite tumeur est située en dehors près de la peau, & quelquefois au-dedans de la paupiere. Voyez Orgeolet.

Si le tubercule est mobile, on l’appelle chalaze ; s’il est en forme de vessie remplie d’une humeur aqueuse, on le nomme hydatide. S’il est fait comme un grain de grêle, on le nomme grêle, en grec λιθίασις. C’est une petite tumeur blanche, raboteuse, plus dure & plus calleuse que l’orgeolet, naissant à la partie extérieure & intérieure des paupieres, & renfermant une humeur qui ressemble en consistance à du tuf, ou à du gravier ; on traite ce mal de même que l’orgeolet.

Quelques-uns de ces tubercules tiennent de la nature de l’atherome, du stéatome, & du méliceris ; mais la plûpart sont de l’espece enkistée, les uns tenant à la peau par une racine fort mince, & les autres ayant une base fort large. Ces tubercules ne sont pas à craindre quand ils ne causent aucune douleur ; cependant ils demandent une attention particuliere lorsqu’il s’agit de les enlever par une incision, à cause de l’extrème délicatesse de la paupiere. Les tubercules qui pendent à une racine peuvent être extirpés par le moyen de la ligature, ou en les coupant sur le champ avec des ciseaux.

Les verrues qui viennent aux paupieres ne different des tumeurs dont on vient de parler, qu’en ce qu’elles défigurent la partie, & offensent souvent la vue. Ces verrues ont une racine grosse ou petite ; on les extirpe par le moyen de la ligature ou du bistouri, de même que les autres verrues ; mais quand elles deviennent noirâtres ou livides, on ne doit pas y toucher, parce qu’on a tout lieu d’appréhender la gangrene.

Les paupieres s’enflent ou se relâchent souvent au point de défigurer la partie, & de nuire à la vue. Cette maladie procede toujours ou de la paralysie du muscle releveur de la paupiere, ou du relâchement de la peau qui est au-dessus. Il vient quelquefois aux paupieres une tumeur œdémateuse ou aqueuse qui empêche l’œil entierement de s’ouvrir ; il faut exactement distinguer ce cas du précédent, puisqu’on y remédie aisément par des cathartiques, des diurétiques,