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site d’une lentille convexe dans un tube, que résulte la possibilité de voir distinctement un objet éloigné, comme s’il étoit prochain. On démontre que les lentilles doivent être d’une telle grandeur & d’un tel diametre plutôt que d’un autre ; que le tube doit être construit ainsi & non autrement ; & on démontre, dis-je, la perfection de chacune de ces parties, & conséquemment celle du tout, par leur rapport au but qu’on se propose d’appercevoir les objets éloignés.

Si la raison déterminante est unique, la perfection sera simple ; s’il y a plusieurs raisons déterminantes, la perfection est composée. Si un pilier n’est planté que pour soutenir quelque voûte, il aura toute la perfection qu’il lui faut, pourvu que sa grosseur ou sa force soit suffisante pour porter ce poids ; mais s’il s’agit d’une colonne destinée à orner aussi-bien qu’à soutenir, il faut la travailler dans cette double vue. Les fenêtres d’une maison ont une perfection composée entant qu’elles servent à introduire la lumiere, & à procurer un point de vue agréable.

Il y a aussi des raisons prochaines & des raisons éloignées, primariæ, secundariæ, qui déterminent la perfection prochaine ou éloignée d’une chose. Toute perfection a ses regles, par lesquelles elle est explicable. Lorsque diverses regles qui découlent des différentes raisons d’une perfection composée se contrarient, cette collision produit ce qu’on appelle exception, savoir une détermination contraire à la regle née de la contrariété des regles. Une perfection simple ne sauroit être sujette à exception ; elle n’a lieu que dans la perfection composée. Dès qu’il n’y a qu’une regle à observer, d’où naîtroit le cas d’une collision ? Mais aussi-tôt qu’il s’en trouve seulement deux, leur opposition dans certain cas, peut produire des exceptions.

La perfection d’une maison, par exemple, embrasse plusieurs objets, la position, distribution commode des appartemens, proportion de ses différentes parties, ornemens intérieurs & extérieurs : un habile architecte ne perd rien de vue ; mais chaque chose entre dans son plan à proportion de son importance ; & quand il ne sauroit tout allier, il laisse ce dont on peut le plus aisément se passer.

Les défauts occasionnés par les exceptions, ne sont pas des défauts réels ; & la perfection du sujet n’en est point altérée. Placer l’idée de la perfection dans l’accord des choses qui ne sauroient être conciliées, ce seroit supposer l’impossible. Ainsi, les exceptions qui ne naissent que de cette impossibilité, n’ont rien qui nuise à la perfection du sujet. Un œil est parfait, quoiqu’il ne puisse pas faire tout-à-la-fois les fonctions du télescope & du microscope ; parce qu’un même organe ne sauroit les allier, & que l’une & l’autre nuiroient à la véritable perfection de l’œil, qui consiste à découvrir distinctement ce qui est à la portée du corps.

Le principe des exceptions se trouve dans la raison déterminante de la perfection du tout, qui doit toujours prévaloir sur la perfection d’une partie. C’est un principe capital pour écarter les jugemens faux & précipités sur la perfection des choses ; il faut en embrasser toute l’économie pour raisonner pertinemment. Qui ne connoît qu’une partie, & forme ses décisions là-dessus, court grand risque de s’égarer, & ne réussit que par hasard. La perfection du tout est l’objet de quiconque travaille d’une maniere sensée à quelque ouvrage que ce soit : on n’ira pas sacrifier les commodités d’une maison entiere, pour rendre une salle parfaite. En un mot, dans un tout, chaque partie a sa perfection qui lui est propre ; mais elle est relative & subordonnée à celle du tout, au point que trop de perfection dans une partie, seroit une vraie imperfection dans le tout.

La grandeur de la perfection se mesure par le nom-

bre des déterminations de l’être qui s’accordent avec

les regles. Plus il y a de convenance, entre les déterminations & les regles, plus la perfection s’accroît ; ou bien moins un sujet a de défauts réels & véritables, plus il a de perfection.

PERFECTIONNER, v. act. (Gramm.) corriger ses défauts, avancer vers la perfection ; rendre moins imparfait. On se perfectionne soi-même ; on perfectionne un ouvrage. L’homme est composé de deux organes principaux ; la tête organe de la raison, le cœur, expression sous laquelle on comprend tous les organes des passions ; l’estomac, le foie, les intestins. La tête dans l’état de nature, n’influeroit presque en rien sur nos déterminations. C’est le cœur qui en est le principe ; le cœur d’après lequel, l’homme animal feroit tout. C’est l’art qui a perfectionné l’organe de la raison ; tout ce qu’il est dans ses opérations est artificiel ; nous n’avons pas eu le même empire sur le cœur ; c’est un organe opiniâtre, sourd, violent, passionné, aveugle. Il est resté, en dépit de nos efforts, ce que nature l’a fait ; dur ou sensible, foible ou indomptable, pusillanime ou téméraire. L’organe de la raison est comme un précepteur attentif, qui le prêche sans cesse ; lui, semblable à un enfant, il crie sans cesse ; il fatigue son précepteur qui finit par l’abandonner à son penchant. Le précepteur est éloquent, l’enfant au contraire n’a qu’un mot qu’il répete sans se lasser, c’est oui ou non. Il vient un tems où l’organe de la raison, après s’être épuisé en beaux discours, & instruit par expérience de l’inutilité de son éloquence, se moque lui-même de ses efforts ; parce qu’il sait qu’après toutes ses remontrances, il n’en sera pourtant que ce qu’il plaira au petit despote qui est-là. C’est lui qui dit impérieusement, car tel est notre bon plaisir. C’est un long travail que celui de se perfectionner soi-même.

PERFECTISSIMAT, s. m. perfectissimatus, (Jurisprud.) c’étoit le rang la dignité de ceux auxquels on donnoit chez les Romains le titre de perfectissimus. On donnoit ce titre à quelques gouverneurs de province, & à certaines autres personnes chargées de quelque administration. Le titre de perfectissime étoit moindre que celui de clarissime.

Il en est parlé au cod. lib. I. tit. de natur. libert. & lib. II. tit. de quæst. Voyez Cujas & Godefroi, sur le tit. 32. du liv. I. lexicon juridicum Calvini. Asciat. (A)

PERFIDE, adj. (Gramm.) & PERFIDIE, s. f. (Morale.) la Bruyere dit que la perfidie est un mensonge de toute la personne, si l’on peut parler ainsi ; c’est mettre en œuvre des sermens & des promesses qui ne coûtent pas plus à faire qu’à violer. On tire ce bien de la perfidie des femmes, qu’elle guérit de la jalousie.

Perfidie, s. f. en Musique, est un terme emprunté des Italiens, & qui signifie une affectation de faire toujours la même chose, ou de poursuivre le même dessein, de conserver le même mouvement, le même chant, les mêmes passages & les mêmes figures de notes. Voyez Dessein, Mouvement, Chant, &c. Telles sont les basses continues, comme celles des chaconnes, & une infinité de manieres d’accompagnement qui dépendent du caprice du compositeur.

Ce terme n’est point usité en France, & je ne sais s’il a jamais été écrit en ce sens ailleurs que dans l’abbé Brossard. (S)

PERFIQUE, s. f. (Mythol.) déesse des anciens qui rendoit les plaisirs parfaits. Les hommes n’ont pas eu, je crois, de divinité qui fît plus mal ses fonctions. Où est le plaisir entierement pur & parfait ? Rien n’est plus vrai, ni n’a été dit d’une maniere plus touchante que la plainte de Lucrece sur la petite pointe d’amertume qui se mêle à tous nos plaisirs :

Adeo de fonte leporum
Surgit amari aliquid, mediisque in floribus angit.