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ton ; il écouta Aristote, qui disoit de Callisthène & de lui, qu’il falloit des éperons à Callisthène & un mors à Théophraste. Voyez à l’article Aristotélisme, les principaux traits de son caractere & de sa vie. Il se plagnoit, en mourant, de la nature qui avoit accordé de si longs jours aux corneilles, & de si courts aux hommes. Toute la ville d’Athenes suivit à pié son convoi. Il nous reste plusieurs de ses ouvrages. Il fit peu de changemens à la doctrine de son maître.

Il admettoit avec Aristote autant de mouvemens, que de prédicamens ; il attribuoit aussi au mouvement l’altération, la génération, l’accroissement, la corruption, & leurs contraires. Il disoit que le lieu étoit immobile ; que ce n’étoit point une substance, mais un rapport à l’ordre & aux positions ; que le lieu étoit dans les animaux, les plantes, leurs dissemblables, animés ou inanimés, parce qu’il y avoit dans tous les êtres une relation des parties au tout qui déterminoit le lieu de chaque partie ; qu’il falloit compter entre les mouvemens les appétits, les passions, les jugemens, les spéculations de l’ame ; que tous ne naissent pas des contraires ; mais que des choses avoient pour cause leurs contraires, d’autres leurs semblables, d’autres encore de ce qui est actuellement. Que le mouvement n’étoit jamais séparé de l’action ; que les contraires ne pouvoient être compris sous un même genre ; que les contraires pouvoient être la cause des contraires ; que la salure de la mer ne venoit pas de la chaleur du soleil, mais de la terre qui lui servoit de fond ; que la direction oblique des vents avoit pour cause la nature des vents même, qui en partie graves, & en partie légers, étoient portés en même tems en haut & en bas ; que le hasard & non la prudence mene la vie ; que les mules engendrent en Cappadoce ; que l’ame n’étoit pas fort assujettie au corps, mais qu’elle faisoit beaucoup d’elle-même ; qu’il n’y avoit point de volupté fausse ; qu’elles étoient toutes vraies ; enfin qu’il y avoit un principe de toutes choses par lequel elles étoient & subsistoient, & que ce principe étoit un & divin.

Il mourut à l’âge de 85 ans ; il eut beaucoup d’amis, & il étoit d’un caractere à s’en faire & à les conserver ; il eut aussi quelques ennemis, & qu’est-ce qui n’en a pas ? On nomme parmi ceux-ci Epicure & la celebre Léontine.

Straton naquit à Lampsac. Il eut pour disciple Ptolomée Philadelphe ; il ne négligea aucune des parties de la Philosophie, mais il tourna particulierement ses vues vers les phénomenes de la nature. Il prétendoit :

Qu’il y avoit dans la nature une force divine, cause des générations, de l’accroissement, de la diminution, & que cependant cette cause étoit sans intelligence.

Que le monde n’étoit point l’ouvrage des dieux, mais celui de la nature, non comme Démocrite l’avoit rêvé, en conséquence du rude & du poli, des atomes droits ou crochus, & autres visions.

Que tout se faisoit par les poids & les mesures.

Que le monde n’étoit point un animal, mais que le mouvement & le hasard avoient tout produit, & conservoient tout.

Que l’être ou la permanence de ce qui est, c’étoit la même chose.

Que l’ame étoit dans la base des sourcils.

Que les sens étoient des especes de fenêtres par lesquelles l’ame regardoit, & qu’elle étoit tellement unie au sens, que eu égard à ses opérations, elle ne paroissoit pas en différer.

Que le tems étoit la mesure du mouvement & du repos.

Que les tems se résolvoient en individu, mais que

le lieu & les corps se divisoient à l’infini.

Que ce qui se meut, se meut dans un tems individuel.

Que tout corps étoit grave & tendoit au milieu.

Que ce qui est au-delà du ciel étoit un espace immense, vuide de sa nature, mais se remplissant sans cesse de corps ; ensorte que ce n’est que par la pensée qu’on peut le considérer comme subsistant par lui-même.

Que cet espace étoit l’enveloppe générale du monde.

Que toutes les actions de l’ame étoient des mouvemens, & l’appétit irraisonnable, & l’appétit sensible.

Que l’eau est le principe du premier froid.

Que les cometes ne sont qu’une lumiere des astres renfermée dans une nue, comme nos lumieres artificielles dans une lanterne.

Que nos sensations n’étoient pas, à proprement parler, dans la partie affectée, mais dans un autre lieu principal.

Que la puissance des germes étoit spiritueuse & corporelle.

Qu’il n’y avoit que deux êtres, le mot & la chose, & qu’il y avoit de la vérité & de la fausseté dans le mot.

Straton mourut sur la fin de la 127e olympiade. Voyez à l’article Aristotélisme le jugement qu’il faut porter de sa philosophie.

Lycon, successeur de Straton, eut un talent particulier pour instruire les jeunes gens. Personne ne sut mieux exciter en eux la honte & réveiller l’émulation. Sa prudence n’étoit pas toute renfermée dans son école ; il en montra plusieurs fois dans les conseils qu’il donna aux Athéniens ; il eut la faveur d’Attale & d’Eumene. Antiochus voulut se l’attacher, mais inutilement. Il étoit fastueux dans son vêtement. Né robuste, il se plaisoit aux exercices athlétiques ; il fut chef de l’école péripatéticienne pendant 44 ans. Il mourut de la goutte à 74.

Lycon laissa la chaire d’Aristote à Ariston. Nous ne savons de celui-ci qu’une chose, c’est qu’il s’attacha à parler & à écrire avec élégance & douceur, & qu’on desira souvent dans ses leçons un poids & une gravité plus convenables au philosophe & à la Philosophie.

Ariston eut pour disciple & successeur Critolaüs de Phasclide. Il mérita par son éloquence d’être associé à Carneade & à Diogène, dans l’ambassade que les Athéniens décernerent aux Romains. L’art oratoire lui paroissoit un mal dangereux, & non pas un art. Il vécut plus de 80 ans. Dieu n’étoit, selon lui, qu’une portion très-subtile d’æther. Il disoit que toutes ces cosmogonies que les prêtres débitoient aux peuples, n’avoient rien de conforme à la nature, & n’étoient que des fables ridicules ; que l’espece humaine étoit de toute éternité ; que le monde étoit de lui-même ; qu’il n’avoit point eu de commencement ; qu’il n’y avoit aucune cause capable de le détruire, & qu’il n’auroit pas de fin. Que la perfection morale de la vie consistoit à s’assujettir aux lois de la nature. Qu’en mettant les plaisirs de l’ame & ceux du corps dans une balance, c’étoit peser un atome avec la terre & les mers.

On sait que Diodore instruit par Critolaüs, lui succéda dans le lycée, mais on ignore qui il fut ; quelle fut sa maniere d’enseigner ; combien de tems il occupa la chaire, ni qui lui succéda. La chaîne péripatéticienne se rompit à Diodore. D’Aristote à celui-ci, il y eut onze maîtres, entre lesquels il nous en manque trois. On peut donc finir à Diodore la premiere période de l’école péripatéticienne, après avoir dit un mot de quelques personnages célebres qui lui ont fait honneur.