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cle qui l’ignore, & aux siecles à venir qu’elle mettra sur la voie pour aller plus loin. Les découvertes dans les arts n’auront plus à craindre de se perdre dans l’oubli ».

Personne n’ignore que le diamant est la plus compacte, & par conséquent la plus dure de toutes les productions de la nature. Il entame tous les autres corps, & ne peut l’être que par lui-même ; & s’il a sur eux de l’avantage, il en est redevable à cette extrême dureté, puisque c’est elle qui lui procure ce feu étincelant dont il paroît pénétré. Le diamant se tire de la mine ordinairement brut, & ressemble alors à un simple caillou ; on n’en rencontre point communément auxquels la nature ait elle-même donné la taille, c’est-à-dire qui soient polis, que la nature y ait concouru, & dont les faces soient régulierement formées ; mais il s’en présente cependant quelquefois où la taille paroit indiquée, & qui ayant roulé parmi les sables dans le lit des rivieres rapides, se trouvent polis naturellement, & tout-à-fait transparens : quelques-uns mêmes sont facetés. Ces sortes de diamans bruts se nomment bruts ingénus ; & lorsque leur figure est pyramidale & se termine en pointe, on les appelle pointes naïves.

Il n’y a pas d’apparence que les anciens aient reconnu & recherché d’autres diamans que ces derniers ; les quatre qui enrichissent l’agraphe du manteau royal de Charlemagne, qu’on conserve au trésor de S. Denis, ne sont que ces pointes naïves. Tout imparfaits qu’étoient les diamans que la nature avoit ainsi formés, on ne laissa pas de les regarder comme ce qu’elle offroit de plus rare ; & Pline, l. XXXVII. ch. iv. remarque que pendant long-tems il n’appartint qu’aux rois, & même aux plus puissans, d’en posséder quelqu’un. On soupçonnoit Agrippa dernier roi des Juifs, d’entretenir un commerce incestueux avec Bérénice sa sœur ; & le précieux diamant qu’il mit au doigt de cette princesse, réalisa presque ces soupçons (Voyez Juvenal, Satyre vj. vers 155.), tant on avoit conçu une haute idée de cette pierre inestimable ! Je laisse à penser de quel œil les Romains auroient regardé nos diamans brillans, eux dont la magnificence alloit jusqu’à la prodigalité la plus outrée, quand il s’agissoit de satisfaire leur luxe.

Pline nous débite que pour avoir de la poudre de diamant, dont les Graveurs se servent lorsqu’ils gravent les autres pierres fines, on fait tremper le diamant dans du sang de bouc tout chaud, & que devenant par ce moyen plus tendre, la pierre se réduit aisément en petits éclats, & se divise même en portions si menues, que l’œil peut à peine les discerner. Quoique rien ne soit plus ridicule que ce conte du naturaliste romain, on apperçoit néanmoins au-travers de son récit fabuleux, que les anciens broyoient comme nous le diamant ; & sans doute que ceux qui en avoient le secret, & qui faisoient négoce de poudre de diamant, n’avoient inventé un pareil mensonge qu’afin de donner le change, & demeurer plus surement en possession d’un commerce qui auroit cessé de leur être lucratif s’il eût été partagé.

Ce qui doit paroître assez surprenant, c’est que les anciens ayant reconnu dans le diamant la force d’entamer toutes les autres pierres fines sans exception, ils n’aient pas apperçu qu’il faisoit le même effet sur lui-même : cela les conduisoit tout naturellement à la taille de cette pierre précieuse, pour peu qu’ils y eussent fait attention. Mais c’est le sort de toutes les découvertes, que plus on semble prêt de les faire, plus on en est éloigné ; ce n’est presque toujours que le hasard qui en décide.

La taille du diamant, comme je l’ai dit ci-dessus, ne doit elle-même son origine qu’à un coup de hasard. Louis de Berquen, natif de Bruges, qui le premier la mit en pratique, il n’y a pas trois siecles (en

1476), étoit un jeune homme qui sortoit à peine des classes ; & qui né dans une famille noble, n’étoit nullement initié dans l’art du lapidaire. Il avoit éprouvé que deux diamans s’entamoient si on les frottoit un peu fortement l’un contre l’autre ; il n’en fallut pas davantage pour faire naître dans un sujet industrieux & capable de méditation, des idées plus étendues. Il prit deux diamans bruts, les monta sur le ciment, & les égrisant l’un contre l’autre, il parvint à y former des facettes assez régulieres ; après quoi à l’aide de certaine roue de fer qu’il avoit imaginée, & de la poudre qui étoit tombée de ces mêmes diamans en les égrisant, & qu’il avoit eu soin de recueillir, il acheva en promenant ces diamans sur cette poudre, de leur donner un entier poliment. On vit paroître pour lors le premier diamant devenu régulier, poli & brillant par le secours de l’art ; mais qui n’eut pour cette fois d’autre forme qu’une pointe naïve. Voyez les merveilles des Indes, par Robert de Berquen son petit-fils.

C’en étoit assez pour une premiere tentative ; il suffisoit d’avoir pu réduire le diamant à recevoir une forme & un poliment, sans lequel il continuoit de ne faire aucun effet, de n’avoir ni jeu ni brillant, & demeuroit une pierre morte & absolument inutile. Le premier essai eut les suites les plus heureuses ; à l’exception d’un très-petit nombre de diamans revèches, auxquels on a donné le nom de diamans de nature, & qui quelqu’effort qu’on fasse, ne peuvent point acquérir le poliment dans certaines parties, ce qui vient de ce que le fil en est tortueux, tous les autres diamans se sont prêtés à l’art du lapidaire, qui s’y est pris de différentes façons pour donner la taille, suivant que la forme du diamant brut le permettoit & le demandoit.

On est aux Indes dans cette persuasion, qu’il est important de ne rien perdre d’un diamant, & l’on y est moins curieux en le taillant de lui faire prendre une forme réguliere, que de le conserver dans toute son étendue. Les pierres qu’on reçoit toutes taillées de ce pays-là, ont presque toujours des formes bisarres, parce que le lapidaire indien s’est reglé pour le nombre & l’arrangement de ses facettes, sur la forme naturelle du diamant brut, & qu’il en a suivi scrupuleusement le contour. Le plus grand diamant du grand-mogol, qui est une rose, présente une infinité de facettes toutes extrèmement inégales. Notre goût est sur cela fort différent ; il ne souffre point de ces figures baroques, & comme il veut du régulier, celui qui taille un diamant brut tâche, autant qu’il est possible, de donner une forme aimable à la pierre qu’on lui a mise entre les mains. Je vais décrire les différentes especes de taille qui se pratiquent le plus fréquemment en Europe.

Lorsque la pierre s’étend en superficie, sans être épaisse, on se contente d’en dresser les deux principales faces, & l’on en abat les côtés ou tranches en talus, ou pour me servir des termes de l’art, on y forme sur chaque côté un biseau. Ces diamans ont assez souvent la figure d’un quarré parfait, ou d’un quarré long ; on en voit aussi de taillés à pans : & quelle que soit leur forme, on les appelle pierres taillées en table, ou pierres foibles. Ceux qui ont commencé à tailler les diamans, leur ont souvent donné cette taille.

Les diamans nommés pierres épaisses, sont taillés en-dessus comme les pierres foibles, c’est-à-dire que la partie qui doit se présenter, lorsque le diamant sera mis en œuvre, est en table ; mais il n’en est pas ainsi de la face opposée, au-lieu d’être plate elle est en culasse, ayant à-peu-près le double d’épaisseur de la partie supérieure, & formant un prisme régulier. C’est encore ainsi qu’étoient taillés dans les commencemens