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me de Pont, prit d’abord Sinope, qu’il pilla en partie, battit Domitien, général de l’armée romaine en Asie, & conquit en très-peu de tems, les états que son pere avoit possédés.

Mais toutes ses prospérités s’évanouirent presque en un instant. César, victorieux de ses ennemis, passe en diligence d’Alexandrie en Syrie, l’an de Rome 706, vole de-là dans le Pont, où il ne fait que paroître pour vaincre Pharnace, & tailler ses troupes en pieces à la fameuse journée de Ziéla, lieu qui, plusieurs années auparavant avoit été si funeste aux Romains, par la victoire importante que Mithridate y avoit remportée contre Triarius, lieutenant de Lucullus ; ainsi le nom romain fut vengé de l’affront qu’il avoit reçu en cet endroit, où César en monument de sa victoire, fit dresser un trophée, à l’opposite de celui que Mithridate y avoit fait élever à la honte des Romains.

Après le gain de cette bataille, tout céda au vainqueur ; le royaume de Pont rentra sous l’obéissance de la république romaine, & Pharnace, qui s’étoit sauvé dans Sinope avec mille cavaliers seulement, fut obligé de rendre cette ville à Domitius Calvinus, lieutenant de César, & de s’enfuir par mer dans le Bosphore, où il n’eut pas plutôt mis pié à terre, qu’un des grands du pays, qui s’étoit soulevé contre lui, le fit perir, & s’empara du royaume.

Sinope étant ainsi tombée sous la puissance des Romains, n’eut pas moins à se louer de la générosité de César, que de celle de Lucullus : il fonda le premier dans leur ville une colonie romaine.

Ces colonies étoient autant de garnisons romaines répandues de toutes parts, pour retenir & affermir les nouveaux sujets dans l’obéissance, les accoutumer insensiblement à la domination romaine, & leur en faire goûter à la longue les lois & les coutumes. C’étoit d’ailleurs la digne récompense des travaux & des fatigues militaires du soldat véteran, & une décharge de cette multitude prodigieuse de citoyens, dont Rome se trouvoit accablée.

On avoit soin de mettre ordinairement ces colonies dans les lieux les plus avantageux & les mieux situés de chaque contrée, surtout dans les villes capitales & dans les métropoles. De toutes les villes d’Asie, Sinope, tant à cause de sa situation, que de sa puissance sur mer, fut une de celles où il convenoit le plus de mettre une colonie, & de la rendre florissante.

M. Vaillant s’étoit persuadé trop légerement que Lucullus avoit fait le premier de Sinope une colonie romaine. Ce n’est pas ainsi qu’en ont écrit les anciens auteurs, que cet antiquaire cite lui-même. Strabon parlant de la prise de Sinope par Lucullus, dit seulement que ce général laissa à cette ville tout ce qui contribuoit à l’embellir, & qu’il se contenta de faire enlever la sphere de Billarus, & la statue d’Antolycus, ouvrage du fameux sculpteur Sthénis ; c’est quelques lignes plus bas que ce géographe ajoute, que Sinope étoit, de son tems, colonie romaine, νῦν δὲ καὶ Ῥωμαίων ἀποικίαν δέδεκται ; de-là il est aisé de voir que cette colonie n’avoit pas été établie par Lucullus ; car si ce fait eût été vrai, Strabon en auroit fait mention plus haut, en parlant du traitement que Sinope reçut de ce général. Appien dit seulement que Lucullus rendit à Sinope la liberté. Ainsi aucun des ancien auteurs ne dit que cette ville ait été faite colonie par Lucullus.

L’époque de Sinope marquée sur la médaille de Gordien-Pie, frappée à Sinope, & si bien expliquée par M. l’abbé de Fontenu, prend son commencement à l’an de Rome 684. L’époque marquée sur les médailles de M. Aurele & de Caracalla, commence à l’établissement de la colonie romaine par Jules-César, l’an de Rome 707. Cette double époque a été très-bien

remarquée par M. Vaillant ; elle se trouve aujourd’hui encore mieux confirmée par une médaille de Néron & d’Octavie, que le P. Froelich a fait graver, & par quelques autres dont on lui a communiqué la description.

Sinope ayant reçu tant de bienfaits de César, fit gloire de porter dans ses médailles le nom de colonie julienne, colonia julia Sinope. Auguste lui maintint apparemment ses franchises & ses privileges dans le voyage qu’il fit en Asie, l’an 12 de son empire, & de Rome 743, car elle joint la qualité d’Augusta avec celle de Julia dans quelques-unes de ses médailles ; colonia Julia Augusta Sinope dans Vaillant, au revers de Caracalla ; colonia Augusta Sinope dans Mezzabarbe, au revers de Gordien-Pie.

J’ai déjà peut-être remarqué à l’article Sérapis, (& j’en parlerai plus au long au mot Temple de Sérapis) que ce dieu des Egyptiens étoit celui de Sinope, & que ce ne fut pas sans de grandes raisons, que les Sinopiens prirent Jupiter Plutus, c’est-à-dire, Serapis pour leur divinité tutélaire ; car outre que plusieurs auteurs prétendent que ce fut Jupiter même, & non pas Apollon qui transporta de Grece en Asie Sinope, fondatrice de la ville de ce nom ; les Sinopiens étoient aussi persuadés que c’étoit à Jupiter Plutus, dieu des mines, qu’ils étoient redevables de l’opulence où les mettoit le grand trafic qu’ils faisoient sur toutes les côtes de la mer Noire, d’une quantité prodigieuse de fer qu’ils tiroient des mines de leur contrée, & des pays voisins : raison pour laquelle vraissemblablement Pomponius Mela nomme les Sinopiens chalybes, c’est-à dire, comme l’explique Eustache sur Denys le géographe, forgerons, artisans, ou marchands en fer, & leur canton Chalybie, comme pour faire entendre que les habitans s’adonnoient sur-tout à la fabrique du fer, & qu’ils en tiroient leur principale richesse.

Outre le profit immense que le négoce du fer produisoit aux Sinopiens, ils en tiroient encore un très considérable de la pêche du thon, qui se faisoit sur leur rivage, où en certain tems, selon Strabon, ce poisson se vendoit en quantité, raison pour laquelle ils le représentoient sur leurs monnoies, comme il paroît par les médailles de Géta. Ce poisson venoit des Palus-Méotides, d’où il passoit à Trébizonde & à Pharnacie, où s’en faisoit la premiere pêche ; il alloit de-là le long de la côte de Sinope où s’en faisoit la seconde pêche, & traversoit ensuite jusqu’à Byzance, où s’en faisoit une troisieme pêche.

La terre de Sinope vantée par Dioscoride, Pline & Vitruve, étoit une espece de bol plus ou moins formé, que l’on trouvoit autrefois au voisinage de cette ville, & qu’on y apportoit, pour la distribuer à l’étranger ; ce n’étoit au reste qu’un petit objet de commerce pour les Sinopiens : plusieurs autres villes de la Grece avoient des bols encore plus recherches.

Voilà l’histoire complette de l’ancienne Sinope, en y comprenant même celle de son commerce. Je ferai un petit article de Sinope moderne, mais je ne puis terminer celui-ci, sans ajouter un mot du fameux Diogene, que j’ai déja nommé à la tête des hommes illustres dont cette ville a été la patrie.

Ce philosophe singulier, & bisarre dans ses manieres, mais vertueux dans ses principes, naquit à Sinope, dans la 91. olympiade, & mourut à Corinthe en allant aux jeux olympiques, la troisieme année de la 114 olympiade, âgé d’environ 90 ans, après avoir vécu dans l’étude de la morale, dans la tempérance, & le mépris des grandeurs du monde.

Il se soucioit peu d’être enterré, & cependant il le fut splendidement proche la porte de l’isthme du Péloponnèse ; plusieurs villes de Grece se disputerent l’honneur de sa sépulture. Son tombeau, dont parle Pausanias, portoit un chien de marbre de Pa-