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se meuvent en s’approchant l’une de l’autre, jusqu’à ce qu’elles se soient appliquées l’une contre l’autre exactement. Si l’attouchement a été un peu fort, la feuille opposée & de la même paire, en fait autant par une espece de sympathie.

2. Quand une feuille se ferme, non-seulement ses deux moitiés vont l’une vers l’autre, mais en même tems le pédicule de la feuille va vers la côte feuillée d’où il sort, fait avec elle un moindre angle qu’il ne faisoit auparavant, & s’en rapproche plus ou moins. Le mouvement total de la feuille est donc composé de celui-là & du sien propre.

3. Si l’attouchement a été plus fort, toutes les feuilles de la même côte s’en ressentent & se ferment. A un plus grand degré de force, la côte elle-même s’en ressent, & se ferme à sa maniere, c’est-à-dire se rapproche du rameau d’où elle sort. Et enfin la force de l’attouchement peut être telle, qu’aux mouvemens précédens s’ajoutera encore celui par lequel les rameaux se rapprochent de la grosse branche d’où ils sortent, & toute la plante paroîtra se vouloir réduire en un faisceau long & étroit, & s’y réduira jusqu’à un certain point.

4. Le mouvement qui fait le plus grand effet, est une espece de secousse.

5. Trois des mouvemens de la plante se font sur autant d’articulations sensibles ; le premier sur l’articulation du pédicule de la feuille avec la côte feuillée ; le second sur l’articulation de cette côte avec son rameau ; le troisieme sur celle du rameau avec sa grosse branche ; un quatrieme mouvement, le premier de tous, celui par lequel la feuille se plie & se ferme, doit se faire aussi sur une espece d’articulation qui sera au milieu de la feuille, mais sans être aussi sensible que les autres.

6. Ces mouvemens sont indépendans les uns des autres, & si indépendans, que quoiqu’il semble que quand un rameau se plie ou se ferme, à plus forte raison ses feuilles se plieront & se fermeront. Il est cependant possible de toucher le rameau si délicatement, que lui seul recevra une impression de mouvement ; mais il faut de plus que le rameau en se pliant n’aille pas porter ses feuilles contre quelqu’autre partie de la plante, car dès qu’elles en seroient touchées elles s’en ressentiroient.

7. Des feuilles entierement fanées & jaunes, ou plûtôt blanches & prêtes à mourir, conservent encore leur sensibilité, ce qui confirme qu’elle réside principalement dans les articulations.

8. Le vent & la pluie font fermer la sensitive, par l’agitation qu’ils lui causent ; une pluie douce & fine n’y fait rien.

9. Les parties de la plante qui ont reçu du mouvement, & qui se sont fermées chacune à sa maniere, se r’ouvrent ensuite d’elles-mêmes, & se rétablissent dans leur premier état. Le tems nécessaire pour ce rétablissement est inégal, suivant différentes circonstances, la vigueur de la plante, la saison, l’heure du jour : quelquefois il faut 30 minutes, quelquefois moins de 10. L’ordre dans lequel se fait le rétablissement, varie aussi ; quelquefois il commence par les feuilles ou les côtes feuillées, quelquefois par les rameaux, bien entendu qu’alors toute la plante a été en mouvement.

10. Si l’on veut se faire une idée, quoique fort vague & fort superficielle, de la cause des mouvemens que nous avons décrits, il paroîtra qu’ils s’exécutent sur des especes de charnieres très-déliées, qui communiquent ensemble par des petites cordes extrèmement fines, qui les tirent & les font jouer dès qu’elles sont suffisamment ébranlées ; & ce qui le confirme assez, c’est que des feuilles fanées & prêtes à mourir, sont encore sensibles ; elles n’ont plus de suc nourricier, plus de parenchime, plus de chair, mais elles ont conservé leur charpente solide, ce petit appareil, & cette

disposition particuliere des cordages qui fait tout le jeu.

11. Ces mouvemens que nous avons appellés accidentels, parce qu’ils peuvent être imprimés à la plante par une cause étrangere visible, ne laissent pas d’être naturels aussi, comme nous l’avons dit d’abord ; ils accompagnent celui par lequel elle se ferme naturellement le soir, & se r’ouvre le matin, mais ils sont ordinairement plus foibles que quand ils sont accidentels. La cause étrangere peut être dès qu’elle le veut, & est presque toujours plus forte que la cause naturelle.

Nous allons rapporter maintenant les principales circonstances du mouvement total naturel de la sensitive.

12. Il a été dit dans l’histoire de l’académie des Sciences, année 1719, que dans un lieu obscur & d’une température assez uniforme, la sensitive ne laisse pas d’avoir le mouvement périodique de se fermer le soir, & de se r’ouvrir le matin. Cela n’est pas conforme aux observations de MM. du Fay & du Hamel. Un pot de sensitive étant porté au mois d’Août dans une cave plus obscure, & d’une température plus égale que le lieu des observations de 1739, la plante se ferma à la vérité, mais ce fut, selon toutes apparences, par le mouvement du transport, elle se r’ouvrit le lendemain au bout de 24 heures à-peu-près, & demeura près de trois jours continuellement ouverte, quoiqu’un peu moins que dans son état naturel. Elle fut rapportée à l’air libre, où elle se tint encore ouverte pendant la premiere nuit qu’elle y passa, après quoi elle se remit dans sa regle ordinaire, sans avoir été aucunement affoiblie par le tems de ce déréglement forcé, sans avoir été pendant tout ce tems-là que très-peu moins sensible.

13. De cette expérience, qui n’a pas été la seule, il suit que ce n’est pas la clarté du jour qui ouvre la sensitive, ni l’obscurité de la nuit qui la ferme : ce ne sont pas non plus le chaud & le froid alternatifs du jour & de la nuit ; elle se ferme pendant des nuits plus chaudes que les jours où elle avoit été ouverte. Dans un lieu qu’on aura fort échauffé, & où le thermometre apporté de dehors hausse très-promptement & d’un grand nombre de degrés, elle ne s’en ferme pas plus tard qu’elle n’eût fait à l’air libre, peut-être même plûtôt : d’où l’on pourroit soupçonner que c’est le grand & soudain changement de température d’air qui agit sur elle ; & ce qui aideroit à le croire, c’est que si on leve une cloche de verre, où elle étoit bien exposée au soleil & bien échauffée, elle se ferme presque dans le moment à un air moins chaud.

14. Cependant il faut que le chaud & le froid contribuent de quelque chose par eux-mêmes à son mouvement alternatif ; elle est certainement moins sensible, plus paresseuse en hiver qu’en été ; elle se ressent de l’hiver même dans de bonnes serres, où elle fait ses fonctions avec moins de vivacité.

15. Le grand chaud, celui de midi des jours bien ardens, lui fait presque le même effet que le froid ; elle se ferme ordinairement un peu. Le bon tems pour l’observer est sur les neuf heures du matin d’un jour bien chaud, & le soleil étant un peu couvert.

16. Un rameau coupé & détaché de la plante, continue encore à se fermer, soit quand on le touche, soit à l’approche de la nuit ; il se r’ouvre ensuite. Il a quelque analogie avec ces parties d’animaux retranchées qui se meuvent encore. Il conservera plus long-tems sa vie, s’il trempe dans l’eau par un bout.

17. La nuit lorsque la sensitive est fermée, & qu’il n’y a que ses feuilles qui le soient, si on les touche, les côtes feuillées & les rameaux se ferment, se plient comme ils eussent fait pendant le jour, & quelquefois avec plus de force.

18. Il n’importe avec quel corps on touche la plante, il y a dans les articulations des feuilles un petit endroit, reconnoissable à sa couleur blanchâtre, où