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il paroît que réside sa plus grande sensibilité.

19. La sensitive plongée dans l’eau, ferme ses feuilles & par l’attouchement, & par le froid de l’eau. Ensuite elle les rouvre, & si en cet état on les touche, elles se referment, comme elles eussent fait à l’air ; mais non pas avec tant de vivacité. Il en va de même des rameaux. Du jour au lendemain la plante se rétablit dans le même état que si elle n’avoit pas été tirée de son élément naturel.

20. Si on brûle ou avec une bougie, ou avec un miroir ardent, ou avec une pince chaude, l’extrémité d’une feuille, elle se ferme aussitôt, & dans le même moment son opposée ; après quoi toute la côte feuillée, & les autres côtes, même le rameau, & même les autres rameaux de la branche en font autant, si l’impression de la brûlure a été assez forte, & selon qu’elle l’a été plus ou moins : cela marque une communication, une correspondance bien fine & bien étroite entre les parties de la plante. On pourroit croire que la chaleur les a toutes frappées ; mais on peut faire ensorte qu’elle ne frappe que l’extrémité de la feuille brûlée : on fera passer l’action du feu par un petit trou étroit d’une plaque sol de, qui en garantira tout le reste de la plante, & l’effet sera presque entierement le même.

21. Une goutte d’eau-forte étant mise sur une feuille, assez adroitement pour ne la pas ébranler, la sensitive ne s’en apperçoit point, jusqu’à ce que l’eau-forte ait commencé à ronger la feuille ; alors toutes celles du rameau se ferment. La vapeur du soufre brûlant fait dans le moment cet effet sur un grand nombre de feuilles, selon qu’elles y sont plus ou moins exposées. La plante ne paroît pas avoir souffert de cette expérience. Une bouteille d’esprit de vitriol très-sulphureux & très-volatil, placée sous une branche, n’a cause aucun mouvement. Il n’y en a eu non plus aucune altération à la plante, quand les feuilles ont été frottées d’esprit de vin ; ni même quand elles l’ont été d’huile d’amande douce, quoique cette huile agisse si fortement sur plusieurs plantes, qu’elle les fait périr.

22. Un rameau dont on avoit coupé, mais avec la dextérité requise, les trois quarts du diametre, ne laissa pas de faire sur le champ son jeu ordinaire ; il se plia, ses feuilles se fermerent & puis se rouvrirent, & il conserva dans la suite toute sa sensibilité. Il est pourtant difficile de concevoir qu’une si grande blessure ne lui ait point fait de mal.

23. Lorsqu’on coupe une grosse branche de sensitive, avec un canif tranchant & bien poli, la lame reste teinte d’une tache rouge qui s’en va facilement à l’eau, & qui est âcre sur la langue. Cette liqueur blanchit en séchant, & s’épaissit en forme de mucilage. M. Hook rapporte que si l’on arrache une branche de sensitive lorsque les feuilles sont fermées, il ne sort point de liqueur par la partie arrachée ; mais que si on l’arrache adroitement sans faire fermer les feuilles, il en sort une goutte. MM. du Fay & du Hamel ont fait cette expérience avec soin ; mais il leur a paru que la goutte de liqueur sortoit toujours, soit que les feuilles fussent ouvertes ou fermées lorsque l’on coupe ou que l’on arrache la branche ; cependant ce qui est arrivé dans le cas rapporté par M. Hook, dépend peut-être de quelque autre circonstance, comme de la grosseur de la branche, ou du plus ou moins de vigueur de la plante ; d’ailleurs cette expérience n’est pas facile à exécuter, parce qu’il faut user de beaucoup de précautions, pour couper ou arracher une branche sans faire fermer les feuilles.

24. La vapeur de l’eau bouillante dirigée sous les bouts des feuilles, fait le même effet que si on les brûloit, ou si on les coupoit ; mais son effet s’étend sur toutes les feuilles voisines, & elles sont engourdies pendant plusieurs heures, & même ne se rouvrent pas entierement du reste de la journée.

25. La transpiration de la plante empêchée ou diminuée par une cloche de verre, dont elle sera couverte, ne nuit point à son mouvement périodique.

26. Il est troublé, déreglé par le vuide de la machine pneumatique, mais non pas anéanti ; la plante tombe en langueur, comme toute autre y tomberoit.

Explications imaginées de ses phénomènes. Tels sont les faits résultans des observations faites en France sur la sensitive : on a tenté de les expliquer sans les connoître, & cela n’est ni rare ni nouveau.

M. Parent dit que ce sont des mouvemens convulsifs ; il imagine qu’il y a dans cette plante un fluide très-subtil comme des esprits, que l’impression reçue de dehors agite plus qu’à l’ordinaire, & détermine à couler plus abondamment dans certains canaux. Mais cette idée n’approfondit rien, & n’est qu’un jeu d’esprit.

Miller a recours à la structure des fibres, des nerfs, des valvules & des pores de la plante. Son explication plaît, parce qu’elle paroît méchanique ; cependant dans l’exposition, elle est si confuse & si chargée d’autres suppositions, que je n’ai pas le courage de les détailler. D’ailleurs il est certain que toutes les explications ne peuvent être qu’imparfaites & fausses, si elles ne sont auparavant appuyées sur la connoissance des faits & des expériences multipliées. MM. Hook, du Fay & du Hamel, ont montré l’exemple ; ils se sont attachés à l’observation des phénomènes de la sensitive ; mais il y en a peut-être d’autres aussi importantes qui leur ont échappé, & qui nous sont encore inconnus. Enfin quand on les connoîtra tous, les expliquera-t-on ?

De la culture de cette plante. En attendant l’événement, cette plante par sa singularité mérite, plus qu’aucune autre, d’être cultivée dans les jardins des curieux ; & voici la méthode de s’y prendre, avec des remarques particulieres sur la plupart de ses especes.

Les sensitives se multiplient toutes de graines, qui doivent être semées sur couche de bonne heure au printems ; & quand elles ont poussé, être transplantées dans de petits pots remplis de bonne terre légere. On plongera ces pots dans un lit chaud préparé, & l’on aura soin d’arroser & d’abrier les plantes, jusqu’à ce qu’elles aient pris racine. Alors on les arrosera plus souvent, & l’on leur donnera de l’air à proportion de la chaleur de la saison. On observera toujours de leur conserver une bonne chaleur, & de couvrir les verres tous les soirs avec des nattes, ce qui contribuera fort à l’accroissement de ces plantes.

De cette maniere dans l’espace d’un mois, leurs racines rempliront les pots ; c’est pourquoi il faudra les transplanter dans de plus grands, en faisant sortir les plantes par secousses des petits pots où elles étoient, avec la terre qui se trouvera attachée à leurs racines. On continuera de les tenir dans un lit chaud, de les arroser, & de leur donner de l’air à proportion que la saison deviendra plus chaude ; mais il ne faut pas les exposer trop long-tems à l’air, parce qu’il détruiroit leur qualité sensitive.

La premiere des especes dont nous avons parlé, étant ainsi soignée, croîtra dans le terme d’une saison, à 8 ou 9 piés de haut, & produira abondance de fleurs ; mais sa graine vient rarement en maturité, excepté que l’automne ne soit chaude ; & comme cette espece est plus délicate que les autres, on a de la peine à la conserver pendant l’hiver.

La seconde espece, mimosa humilis, spinosa, frutescens, est beaucoup plus petite, s’élevant rarement au-dessus de deux piés de haut ; mais elle est épineuse, & pousse plusieurs rameaux. Elle subsiste 2 ou 3 ans, si on la tient dans une bonne serre, & produit coutumierement des graines chaque année : c’est la plus commune dans les jardins de France & d’Angleterre, la plus facile à conserver, & la plus abondante en graines.