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sion de l’uretre, ce qui donne lieu à l’infiltration de l’urine & de la matiere de la suppuration dans le tissu graisseux du scrotum, source des abscès qui surviennent fréquemment à cette méthode, & dont on accuse, souvent mal-à-propos, celui qui a troussé les bourses.

On évite ces inconvéniens en faisant une incision oblique qui commence un peu au-dessus de l’endroit où finit celle du grand appareil décrit, & qui se porte vers la tubérosité de l’ischion. C’est à cette coupe oblique & plus inférieure que celle du grand appareil ordinaire, que les modernes ont donné le nom d’appareil latéral. Mais doit-on donner ce nom à une méthode qui ne permet l’entrée de la vessie qu’en ouvrant l’uretre & le col de cet organe ? La taille de frere Jacques n’étoit que le grand appareil ; son peu de lumieres en anatomie, sur-tout dans les premiers tems, permet de croire qu’il n’étoit que l’imitateur d’un homme plus éclairé que lui, à qui il avoit vu pratiquer cette opération qu’on croyoit nouvelle. On lit dans Fabricius Hildanus, lib. de lithotom. vesicæ, que l’incision de la taille au grand appareil se doit faire obliquement, ab osse pubis versus coxam sinistram. La pratique de notre opération au grand appareil étoit défectueuse ; c’étoit un des effets de la décadence de la chirurgie par l’état d’avilissement où elle avoit été plongée quarante ans auparavant que frere Jacques se fît connoître en France. Voyez le mot Chirurgien.

De l’opération de frere Jacques. Frere Jacques étoit une espece de moine originaire de Franche-Comté, qui vint à Paris en 1697. Il s’annonça comme possesseur d’un nouveau secret pour la guérison de la pierre. Il fit voir aux magistrats une quantité de certificats qui attestoient son adresse à opérer. Il obtint la permission de faire des essais de sa méthode à l’hôtel-Dieu sur des cadavres, sous les yeux des chirurgiens & des médecins de cet hôpital. M. Mery, qui en étoit alors chirurgien major, fut pareillement chargé par M. le premier président d’examiner les épreuves de frere Jacques, & de lui en faire son rapport.

M. Mery dit que « frere Jacques ayant introduit dans la vessie une sonde solide, exactement ronde, sans rainure, & d’une figure différente de celles des sondes dont se servent ceux qui taillent suivant l’ancienne méthode, il prit un bistouri semblable à ceux dont on se sert ordinairement, mais plus long, avec lequel il fit une incision au côté gauche & interne de la tubérosité de l’ischium, & coupant obliquement de bas en haut, en profondant, il trancha tout ce qui se trouva de parties depuis la tubérosité de l’ischium jusqu’à sa sonde qu’il ne retira point. Son incision étant faite, il poussa son doigt, par la plaie, dans la vessie, pour reconnoître la pierre. Et après avoir remarqué sa situation, il introduisit dans la vessie un instrument (qui avoit à-peu-près la figure d’un fer à polir de relieur) pour dilater la plaie, & rendre par ce moyen la sortie de la pierre plus facile sur ce dilatatoire qu’il appelloit son conducteur, il poussa une tenette dans la vessie, & retira aussitôt ce conducteur ; & après avoir cherché & chargé la pierre, il retira la sonde de l’uretre, & ensuite sa tenette avec la pierre de la vessie par la plaie, ce qu’il fit avec beaucoup de facilité, quoique la pierre fût à-peu-près de la grosseur d’un œuf de poule.

» Cette opération étant faite, je disséquai, continue M. Méry, en présence de MM. les médecins & chirurgiens de l’hôtel-Dieu, les parties qui avoient été coupées. Par la dissection que j’en fis, & en les comparant avec les mêmes parties opposées que je disséquai aussi, nous remarquâmes que frere Jacques avoit d’abord coupé des graisses environ un pouce & demi d’épaisseur, qu’il avoit ensuite

conduit son scalpel entre le muscle érecteur & accélérateur gauche sans les blesser, & qu’il avoit enfin coupé le col de la vessie dans toute sa longueur par le côté, à environ demi-pouce du corps même de la vessie. »

Sur ce rapport on permit à frere Jacques de faire son opération sur les vivans. Il tailla environ cinquante personnes ; mais le succès ne répondit pas à ce qu’on en attendoit ; on fit de nouveau l’examen des parties blessées, & on reconnut que les unes étoient tantôt intéressées, & tantôt les autres, en sorte qu’on peut dire de frere Jacques qu’il n’avoit point de méthode ; car une méthode de tailler doit être une maniere de tailler suivant une regle toujours constante, au moyen de laquelle on entame les mêmes parties toutes les fois. Ce sont les termes de M. Morand, dans ses Recherches sur l’opération latérale insérées dans les Mém. de l’ac. royale des Scienc. ann. 1731. Frere Jacques n’avoit donc point de méthode : il entamoit la vessie, tantôt dans son col tantôt dans son corps ; il séparoit quelquefois le col du corps ; souvent il traversoit la vessie, & l’ouvroit en deux endroits ; enfin il intéressoit l’intestin rectum qui ne doit point être touché dans cette opération, &c.

M. Méry publia en 1700 un traité sous le titre d’Observations sur la maniere de tailler dans les deux sexes pour l’extraction de la pierre, pratiquée par frere Jacques. L’auteur releve vivement toutes les fautes commises par le nouveau lithotomiste, en donnant des louanges à sa fermeté inébranlable dans l’opération.

Frere Jacques profita de la critique de M. Mery & des conseils qui lui furent donnés par MM. Fagon & Felix, premiers médecin & chirurgien du roi. La principale cause des désordres de l’opération venoit du défaut de guide. Frere Jacques opéroit sur une sonde cylindrique ; mais lorsqu’il eut fait usage de la sonde cannelée, il pratiqua son opération avec beaucoup de succès. On a de lui un écrit intitulé, Nouvelle méthode de tailler, munie des approbations des médecins & des chirurgiens de la cour, qui lui virent faire à Versailles trente-huit opérations sans perdre un seul de ses malades. Frere Jacques y reproche à MM. Mery & Saviard de l’avoir décrié comme sectateur d’un nommé Raoulx qui étoit un fripon, de n’avoir pas assez examiné par eux-mêmes, & d’avoir écrit contre lui sur des ouï-dires, par plaisir de blâmer l’opérateur & l’opération.

M. Raw, fameux professeur en Anatomie & en Chirurgie à Leyde, vit opérer frere Jacques, & pratiqua ensuite l’opération de la taille avec un succès étonnant ; mais il ne publia rien là-dessus. M. Albinus a donné un détail circonstancié de tout ce qui regarde l’opération de M. Raw son prédécesseur. Il prétend qu’il avoit perfectionné la taille du frere Jacques, & qu’il coupoit le corps même de la vessie au-delà des prostates. Mais en suivant la description de M. Albinus, & se servant de la sonde de M. Raw, on voit qu’il est impossible de couper le corps de la vessie sans toucher aux prostates, à son col & à l’uretre, & on pense que M. Albinus s’est mépris sur la méthode de M. Raw dont nous ignorons absolument les particularités, autres que les succès extraordinaires dont elle étoit suivie.

Opération de Cheselden. La dissertation de M. Albimes sur la taille de Raw, excita l’émulation des chirurgiens, & les porta à faire des expériences propres à les conduire à la perfection annoncée dans cet ouvrage.

M. Cheselden fit les premieres tentatives ; il rencontra en suivant ponctuellement la description de M. Albinus, des inconvéniens qui le conduisirent à une nouvelle opération ; voici la méthode de la pratiquer.