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leur & son odeur ; c’est pourquoi quelques-uns la lui substituent ; mais la résine qui découle des tubercules auxquels on a fait une incision, est fort estimée ; on l’appelle spécialement larme de sapin, huile de sapin, & communément bigion. Voici la maniere de tirer cette résine.

Les bergers, pour ne pas être oisifs pendant le jour, vont dans les forêts des sapins, portant à la main une corne de vache creuse. Lorsqu’ils rencontrent de jeunes sapins revêtus d’une écorce luisante, & remplis de tubercules, car les vieux sapins ridés n’ont point de tubercules, ils conjecturent aussitôt qu’il y a de l’huile sous ces tubercules ; ils les pressent avec le bord de leur corne, & en font couler toute l’huile. Ils ne peuvent pas cependant par cette manœuvre recueillir plus de trois ou quatre onces de cette huile en un jour ; car chaque tubercule n’en contient que quelques gouttes : c’est ce qui rend cette résine rare & chere. Mais on tire une bonne quantité de térébenthine de la tige des sapins & des picea par des incisions qu’on leur fait au mois de Mai.

Les paysans commencent le plus haut qu’il peuvent atteindre avec leurs coignées à enlever l’écorce de l’arbre, de la largeur de trois doigts depuis le haut, sans cependant descendre plus bas qu’à deux piés de terre : ils laissent à côté environ une palme d’écorce, à laquelle ils ne touchent point ; & ils recommencent ensuite la même opération, jusqu’à ce qu’ils aient ainsi enlevé toute l’écorce de distance en distance, depuis le haut jusqu’en-bas. La résine qui coule aussitôt est liquide, & elle s’appelle térébenthine de Strasbourg ; cette térébenthine s’épaissit avec le tems ; & deux ou trois ans après les plaies faites aux arbres, sont remplies d’une résine plus grossiere ; alors ils se servent de couteaux à deux tranchans, recourbés, attachés à des perches pour enlever cette seconde résine, qu’ils conservent pour en faire de la poix. La pure térébenthine de Strasbourg a les mêmes principes que celle de Venise, & elle a presque les mêmes vertus.

La térébenthine commune, la grosse térébenthine, resina pinea, est une substance résineuse, visqueuse, tenace, plus grossiere & plus pesante que celle du sapin ou du mélese. Elle est blanchâtre, presque de la consistance de l’huile un peu condensée par le froid, d’une odeur résineuse, désagréable, d’un goût âcre, un peu amer, & qui cause des nausées.

Cette résine découle d’elle-même, ou par l’incision, de différentes especes de pin ; mais on la tire sur-tout dans la Provence près de Marseille & de Toulon, & dans la Guyenne près de Bordeaux, du pin appellé pinus sylvestris, vulgaris genevensis, par J. B. 1. 253, & pinus sylvestris, par C. B. P. 491. Cet arbre n’est pas différent du pin ordinaire. Il est seulement moins élevé, ses feuilles sont plus courtes, & ses fruits plus petits.

Il découle deux sortes de résine de ces arbres, l’une nommée résine de cones, parce qu’elle en suinte naturellement ; l’autre qui est tirée par l’incision que l’on fait à l’arbre, est appellée résine de pin. Lorsque cet arbre est plein de résine, il est nommé torche, tæda en latin. La trop grande abondance de résine, est une maladie propre & particuliere au pin sauvage. Elle consiste en ce que non-seulement la substance interne, mais encore la partie externe du tronc, abonde tellement en suc résineux, que cet arbre est comme suffoqué par la trop grande quantité de suc nourricier. On en coupe alors, sur-tout près de la racine, des lattes grasses, & propres pour allumer le feu, & pour éclairer. La pesse & le mélese deviennent aussi torches, mais très-rarement. Dans la Provence non-seulement on recueille cette résine tous les ans ; mais on tire encore de l’arbre des sucs résineux, dont on fait ensuite diverses sortes de poix. Voyez Poix.

Les médecins emploient rarement la térébenthine commune tirée du pin sauvage & du piæa, quoiqu’elle ait les mêmes qualités que celle de Strasbourg ; mais plusieurs ouvriers en font usage. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Térébentine, huile de, (Chimie.) l’inflammation des huiles par les acides paroît d’abord avoir été découverte par Glauber, qui en a parlé assez au long dans plusieurs de ses ouvrages ; Becher l’a aussi connue ; mais il y a près de quatre-vingt-dix ans que Borrichius proposa dans les journaux de Copenhague, ann. 1671. d’enflammer l’huile de térébenthine par l’esprit de nitre, suivant un procédé qu’il donnoit. Son problème chimique a pendant long-tems exercé le génie & l’adresse des plus grands artistes. A l’envi les uns des autres, ils ont fait plusieurs tentatives sur cette inflammation ; ils ont d’abord été peu heureux ; il y en a même qui ont eu si peu de succès, qu’ils ont regardé ce phénomene comme un problème très-difficile à résoudre, parce que l’auteur n’a pas assez détaillé des circonstances, qu’il a peut-être ignorées lui-même. D’autres moins modérés ont traité cette expérience de paradoxe.

Le mauvais succès sur l’huile de térébenthine, loin de décourager plusieurs autres artistes, les a au contraire conduits à tenter le mélange de l’acide nitreux avec d’autres huiles essentielles ; ils ont non-seulement réussi à enflammer les huiles essentielles pesantes, mais encore quelques huiles empyreumatiques, telles que celles de Gayac.

Dippelius, Hoffman & M. Geoffroi sont parvenus à enflammer l’huile de térébenthine, & un nombre d’huiles essentielles légeres par l’acide nitreux, mais avec le concours de quelques portions d’acide vitriolique concentré. Enfin M. Rouelle a trouvé le secret du procédé de Borrichius, consistant à enflammer l’huile de térébenthine par l’acide nitreux seul, & c’est une chose assez curieuse ; voici l’essentiel du procédé de Borrichius.

Il emploie quatre onces d’huile de térébenthine & six onces d’eau-forte, ou d’acide nitreux. Il demande que l’huile de térébenthine soit nouvellement distillée, que l’eau-forte soit bonne, récente, & que le vaisseau soit ample ; il les méle ensemble & les agite ; il couvre le vaisseau, & au bout d’une demi-heure, il le découvre ; alors les matieres produisent ensemble une effervescence des plus violentes, accompagnée d’une fumée très-épaisse, & elles s’enflamment en surmontant le vaisseau & se répandant.

Ce n’est pas de la force de l’esprit de nitre que dépend absolument le succès de l’expérience de Borrichius ; il faut cependant que l’esprit de nitre soit au moins assez fort pour agir sur l’huile aussi-tôt qu’il lui est mêlé ; plus foible il ne feroit aucun effet ; mais plus il sera fort & concentré, plus le succès de l’opération sera assuré. A l’égard de l’huile de térébenthine, il n’y a aucun choix à en faire ; ancienne ou nouvelle, elle est également bonne.

Il faut verser peu d’acide nitreux à la fois sur le champignon : s’il arrive qu’il ne s’enflamme pas, on attend que le charbon paroisse davantage & soit plus considérable ; alors on verse de nouvel acide, & avec un peu d’usage, il est rare qu’on ne réussisse pas.

Les vaisseaux doivent être larges d’ouverture, afin que le mélange présente une plus grande surface à l’air, qui aide beaucoup au succès de cette expérience.

On doit employer parties égales d’acide & d’huile de térébenthine ; mais quand on mettroit plus d’acide, on ne nuiroit aucunement à l’inflammation. L’on observera seulement que le succès de l’opération est plus assuré, quand on emploie des doses un peu considérables.

M. Rouelle ayant trouvé cette clé, a réussi dans