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& toutes les représentations se faisoient en plein jour.

Pour les degrés où le peuple se plaçoit, ils commençoient au bas de ce dernier portique, & descendoient jusqu’au pié de l’orquestre ; & comme l’orquestre avoit plus ou moins d’étendue suivant les théatres, la circonférence des degrés (gradationes), étoit aussi plus ou moins grande à proportion ; mais elle alloit toujours en augmentant à mesure que les degrés s’élevoient, parce qu’ils s’éloignoient toujours du centre en montant.

Il y avoit dans les grands théatres jusqu’à trois étages, & chaque étage étoit de neuf degrés, en comptant le pâlier qui en faisoit la séparation, & qui servoit à tourner au-tour ; mais comme ce palier tenoit la place de deux degrés, il n’en restoit plus que sept où l’on pût s’asseoir, & chaque étage n’avoit par conséquent que sept rangs de sieges. Ainsi quand on lit dans les auteurs que les chevaliers occupoient les quatorze premiers rangs du théatre, il faut entendre le premier & le second étage de degrés, le troisieme étant abandonné au peuple avec le portique supérieur, & l’orquestre étoit, comme nous avons dit, reservé pour les sénateurs & pour les vestales.

Il faut néanmoins prendre garde que ces distinctions de rangs ne commencerent pas en même tems ; car ce fut, selon Tite-Live, l’an 568, que le sénat commença à être séparé du peuple aux spectacles, & ce ne fut que l’an 685, sous le consulat de L. Metellus & de Q. Martius, que la loi roscia assigna aux chevaliers les quatorze premiers rangs du théatre. Ce ne fut même que sous Auguste, que les femmes commencerent à être séparées des hommes, & à voir le spectacle du troisieme portique.

Les portes par où le peuple se répandoit sur les degrés, étoient tellement disposées entre les escaliers, que chacun d’eux répondoit par en-haut à une de ces portes, & que toutes ces portes se trouvoient par en bas, au milieu des amas de degrés dont ces escaliers faisoient la séparation. Ces portes & ces escaliers étoient au nombre de trente-neuf en tout ; & il y en avoit alternativement six des uns & sept des autres à chaque étage, savoir sept portes & six escaliers au premier, sept escaliers & six portes au second, & sept portes & six escaliers au troisieme.

Mais comme ces escaliers n’étoient à proprement parler, que des especes de gradins pour monter plus aisément sur les degrés où l’on s’essayoit, ils étoient pratiqués dans ces degrés mêmes, & n’avoient que la moitié de leur hauteur & de leur largeur. Les paliers au contraire qui en séparoient les étages, avoient deux fois leur largeur, & laissoient la place d’un degré vuide ; de maniere que celui qui étoit au dessus avoit deux fois la hauteur des autres ; tous ces degrés devoient être tellement allignés qu’une corde tendue depuis le bas jusqu’en haut en touchât toutes les extrémités.

C’étoit sous ces degrés qu’étoient les passages par où l’on entroit dans l’orquestre, & les escaliers qui montoient aux différens étages du théatre ; & comme une partie de ces escaliers montoit aux degrés, & les autres aux portiques, il falloit qu’ils fussent différemment tournés ; mais ils étoient tous également larges, entierement dégagés les uns des autres, & sans aucun détour, afin que le peuple y fût moins pressé en sortant.

Jusqu’ici le théatre des Grecs & celui des Romains étoient entierement semblables, & ce premier département avoit non-seulement chez eux la même forme en général, mais encore les mêmes dimensions en particulier ; & il n’y avoit de différence dans cette partie de leur théatre, que par les vases d’airain que les Grecs y plaçoient, afin que tout ce qui se prononçoit sur la scène fût distinctement entendu de tout le

monde. Cet usage même s’introduisit ensuite chez les Romains dans leurs théatres solides. Voyez Vase de théatre.

Les Grecs établirent beaucoup d’ordre pour les places, & les Romains les imiterent encore. Dans la Grece les magistrats étoient, au théatre, séparés du peuple, & le lieu qu’ils occupoient s’appelloit βουλευτικός : les jeunes gens y étoient aussi placés dans un endroit particulier, qu’on nommoit ἐφηϐικός ; & les femmes y voyoient de même le spectacle du troisieme portique ; mais il y avoit outre cela des places marquées où il n’étoit pas permis à tout le monde de s’asseoir, & qui appartenoient en propre à certaines personnes. Ces places étoient héréditaires dans les familles, & ne s’accordoient qu’aux particuliers qui avoient rendu de grands services à l’état. C’est ce que les Grecs nommoient προεδρίας, & il est aisé de juger par ce nom, que c’étoient les premieres places du théatre, c’est-à-dire les plus proches de l’orquestre ; car l’orquestre étoit, comme nous avons dit, une des parties destinées aux acteurs chez les Grecs, au-lieu que c’étoit chez les Romains la place des sénateurs & des vestales.

Mais quoique l’orquestre eût des usages différens chez ces deux nations, la forme en étoit cependant à-peu-près la même en général. Comme elle étoit située entre les deux autres parties du théatre, dont l’une étoit circulaire, & l’autre quarrée, elle tenoit de la forme de l’une & de l’autre, & occupoit tout l’espace qui étoit entr’elles. Sa grandeur varioit par conséquent suivant l’étendue des théatres ; mais sa largeur étoit toujours double de sa longueur, à cause de sa forme, & cette largeur étoit précisément le demi-diametre de tout l’édifice.

La scène, chez les Romains, se divisoit comme chez les Grecs, en trois parties, dont la situation, les proportions & les usages étoient les mêmes que dans les théatres des Grecs.

La premiere & la plus considérable partie s’appelloit proprement la scène, & donnoit son nom à tout ce département. C’étoit une grande face de bâtiment qui s’étendoit d’un côté du théatre à l’autre, & sur laquelle se plaçoient les décorations. Cette façade avoit à ses extrémités deux petites aîles en retour, qui terminoient cette partie ; de l’une à l’autre de ces aîles s’étendoit une grande toile à-peu-près semblable à celle de nos théatres, & destinée aux mêmes usages, mais dont le mouvement étoit fort différent ; car au-lieu que la nôtre se leve au commencement de la piece, & s’abaisse à la fin de la représentation, parce qu’elle se plie sur le ceintre, celle des anciens s’abaissoit pour ouvrir la scène, & se levoit dans les entr’actes, pour préparer le spectacle suivant, parce qu’elle se plioit sur le théatre ; de maniere que lever & baisser la toile, signifioit précisément chez eux le contraire de ce que nous entendons aujourd’hui par ces termes. Voyez Toile de théatre.

La seconde partie de la scène, que les Grecs nommoient indifféremment προσκήνιον & λομείον, les Latins proscenium & pulpitum, en françois l’avant-scène, étoit un grand espace libre au devant de la scène où les acteurs venoient jouer la piece, & qui par le moyen des décorations, représentoit une place publique, un simple carrefour, ou quelque endroit champêtre, mais toujours un lieu à découvert ; car toutes les pieces des anciens se passoient au-dehors, & non dans l’intérieur des maisons, comme la plûpart des nôtres. La longueur & la largeur de cette partie varioient suivant l’étendue des théatres, mais la hauteur en étoit toujours la même, savoir de dix piés chez les Grecs, & de cinq chez les Romains.

La troisieme & derniere partie étoit une espace ménagée derriere la scène, qui lui servoit de dégagement, & que les Grecs appelloient παρασκήνιον.