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nes spirituelles que l’Eglise peut décerner contre tous ses enfans, du nombre desquels sont les princes ; mais ils tiennent leur puissance temporelle immédiatement de Dieu ; c’est à lui seul qu’ils en sont comptables. 7°. Jesus-Christ n’a donné à S. Pierre & à ses successeurs, en qualité de chef de l’Eglise, que la puissance spirituelle pour préserver leur troupeau de la contagion de l’erreur. 8°. Les princes sont les protecteurs de l’Eglise & ses défenseurs ; mais ils n’ont pas pour cela de pouvoir sur le spirituel ; l’Eglise n’en a donc pas davantage sur leur temporel, quoiqu’elle fasse des lois contre ceux qui refusent d’obéir à leurs légitimes souverains.

Le même auteur accumule différens faits, tels que la conduite de S. Ambroise à l’égard de Théodose ; le privilege accordé par S. Grégoire le grand au monastere de S. Médard de Soissons ; l’exemple de Grégoire II. qui défendit aux peuples d’Italie de payer les tributs accoutumés à l’empereur Léon, surnommé Brise-images, que ce pontife avoit excommunié ; la déposition de Childeric, de Wamba roi des Goths, des empereurs Louis le Débonnaire & Henri IV. Frédéric II. & Louis de Baviere, &c. mais tous ces faits ne concluent rien, parce que ce sont autant d’usurpations manifestes de la puissance pontificale sur l’autorité temporelle ; d’ailleurs Bellarmin les rapporte souvent d’une maniere infidele, contraire à la narration des auteurs contemporains ; il les tourne à l’avantage de sa cause d’une maniere qui toute subtile qu’elle est, fait peu d’honneur ou à son jugement, ou à sa bonne foi. Consultez sur ces faits la défense de la déclaration du clergé par M. Bossuet, & imprimée en 1728.

L’église gallicane qui dans tous les siecles ne s’est pas moins distinguée par sa vénération envers le saint-siege, que par sa fidélité pour les souverains, s’est constamment opposée à cette doctrine des ultramontains ; ses théologiens établissent le sentiment contraire sur les autorités les plus respectables, & sur les raisonnemens les plus solides. Les premier principe dont ils partent, est que la puissance que Jesus-Christ a donnée à ses apôtres & à leurs successeurs, est une puissance purement spirituelle, & qui ne se rapporte qu’au salut éternel. En effet, les ministres de la religion n’ont, en vertu de l’institution divine, d’autre autorité que celle dont Jesus-Christ-même étoit dépositaire en qualité de médiateur : Comme mon Pere m’a envoyé, leur dit-il, je vous envoie aussi de même. Joan. xx. 21. Or le Sauveur du monde, considéré comme médiateur, n’avoit aucun pouvoir sur le temporel des princes. Ses discours & ses actions concourent à le démontrer. Interrogé par Pilate s’il est vrai qu’il se croit roi des Juifs, il proteste qu’il n’a aucun pouvoir sur le temporel des rois, qu’il ne vient pas pour détruire les états des princes de la terre : mon royaume, répond-il, n’est point de ce monde ; si mon royaume étoit de ce monde, mes sujets combattroient pour empêcher qu’on ne me livrât aux Juifs : mais mon royaume n’est point d’ici, ibid. 36. Le magistrat romain insiste, vous êtes donc roi, ibid. 87. oui, lui dit Jesus-Christ, vous le dites, je suis roi, c’est pour cela que je suis nè, & que je suis venu dans le monde, afin de rendre témoignage à la vérité. Quiconque appartient à la vérité écoute ma voix. Pouvoit-il marquer plus précisément que sa royauté ne s’étendoit que sur des choses spirituelles, qu’il étoit roi d’un royaume tout divin & tout céleste que son Pere alloit former par sa prédication & par celle de ses apôtres dans tout l’univers. Lui-même pendant sa vie mortelle se soumet à l’empire des Césars, & leur paye le tribut. Si le peuple, épris de ses miracles, veut le faire roi, il prend la fuite pour se soustraire à leurs sollicitations. Un homme lui propose d’être arbitre entre son frere & lui au sujet d’une succession qui lui étoit

échue, il lui répond que ce n’est point à lui à juger des choses temporelles, qu’il s’adresse à ceux qui ont ce pouvoir : O homme, qui m’a établi pour vous juger, & pour faire vos partages ? Luc. xij. 14. Il recommande également l’obéissance qu’on doit aux Césars, comme celle qu’on doit à Dieu.

Mais, dira-t-on, si Jesus-Christ n’a pas lui-même exercé cette puissance, peut-être l’a-t-il accordée à ses apôtres, c’est ce dont on ne trouve nulle trace dans l’Ecriture ; toute la puissance que Jesus-Christ accorde à ses apôtres, se réduit au pouvoir d’annoncer l’Evangile, de baptiser, de lier ou de délier les péchés, de consacrer l’Eucharistie, d’ordonner les ministres ; en un mot, de conférer tous les sacremens, de lancer l’excommunication, ou d’infliger d’autres peines canoniques contre ceux qui se révolteroient contre les lois de l’Eglise ; enfin il leur déclare expressément que leur ministere est un ministere de paix, de charité, de douceur, de persuasion, qu’il n’a rien de commun avec la domination que les princes temporels exercent sur leurs sujets. Reges gentium dominantur eorum, vos autem non sic. Luc. xvij. 25.

Leur second principe est que l’Eglise ne peut changer ni détruire ce qui est de droit divin. Or telle est d’une part la puissance des souverains sur leurs peuples, & d’une autre l’obeissance que les peuples doivent à leurs souverains. Ces deux vérités se trouvent également établies par ces paroles de S. Paul : toute personne vivante doit être soumise aux puissances souveraines ; car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, & celles qui sont, sont ordonnées de Dieu ; ainsi qui résiste à la puissance, résiste à l’ordre de Dieu. Rom. xiij. 1. La seconde ne l’est pas moins évidemment par ce que dit S. Pierre : soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu, soit au roi comme au plus excellent, soit aux chefs comme envoyés par ses ordres, & dépositaires de son autorité. Epît. I. c. ij. 13. C’étoit de Néron & des empereurs payens que les apôtres parloient de la sorte. Si la révolte eût jamais pû être colorée de quelque prétexte, c’eût été sans doute de celui de défendre la religion contre ses persécuteurs ; mais les premiers fideles ne surent jamais qu’obéir & mourir.

La tradition n’est pas moins formelle sur ce point que l’Ecriture. Tous les docteurs de l’Eglise enseignent 1°. que la puissance séculiere vient immédiament de Dieu, & ne dépend que de lui seul. Christianus, disoit Tertullien, nullius est hostis nedum imperatoris quem sciens à Deo suo constitui, necesse est ut & ipsum diligat & revereatur & honoret & salvum velit. Colimus ergo imperatorem sic quomodo & nobis licet, & ipsi expedit ut hominem à Deo secundum, & quidquid est à Deo consecutum & solo Deo minorem, lib. ad scapul. c. ij. Optat. l. III. contr. Parmenian. super imperatorem non est uni solus Deus qui fecit imperatorem ; & S. Augustin, lib. V. de civit. Dei, cap. xxj. non tribuamus dandi regni atque imperii potestatem, nisi Deo vero.

2°. Qu’on doit obéir aux princes, même quand ils abusent visiblement de leur puissance, & qu’il n’est jamais permis à leurs sujets de prendre les armes contre eux : Neque tunc, dit S. Augustin en parlant des persécutions des empereurs païens, civitas Christi adversus impios persecutores pro salute temporali pugnavit. Ligabantur, cedebantur, includebantur, urebantur, torquebantur..... non erat eis pro salute pugnare nisi salutem pro salvatore contemnere. de civit Dei, lib. II. cap. v. & sur le Ps. cxxiv. le même pere s’exprime ainsi : Julianus extitit infidelis imperator..... milites christiani servierunt imperatori infideli. Ubi veniebatur ad causam Christi non agnoscebant nisi illum qui in cœlo erat. Si quando volebat ut idola colerent, ut thurificarent, præponebant illi Deum : quando autem dicebat, producito aciem, ite contra illam gentem, statim