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obtemperabant. Distinguebant Dominum æternum à domino temporali, & tamen subditi erant propter Dominum æternum etiam domino temporali. S. Jérôme, S. Ambroise, S. Athanase, S. Grégoire de Nazianze, Tertullien & les autres apologistes de la religion tiennent le même langage.

3°. Que comme les princes ont reçu de Dieu le glaive matériel pour exercer la justice vindicative, & contenir les méchans ; l’Eglise n’a reçu qu’un glaive spirituel, pour exercer sa puissance sur les ames. Pacificos vult Christus esse suos discipulos, dit Origenes sur le chap. xvj. de S. Matthieu, ut bellicum gladium deponentes, alterum pacificum accipiant gladium quem dicit scriptura gladium spiritus : & S. Chrysostôme, rex habet arma sensibilia, sacerdos arma spiritualia.

Mais n’est-il pas permis au-moins à l’Eglise de se servir du glaive matériel, quand la religion est en péril & pour sa défense ? Voici ce qu’en pensoit Lactance : Non est opus vi & injuriâ, quia religio cogi non potest..... defendenda est non occidendo sed moriendo, non sævitiâ sed patientiâ, non scelere sed fide, lib. V. divin. institut.

Il est presqu’inconcevable qu’après une doctrine si fondée & si publique, il ait pû se trouver des théologiens qui ayent soutenu les prétentions des papes ou même de l’Eglise sur le temporel des rois : l’indépendance des deux puissances & leurs limites n’étoient-elles pas assez marquées ?

Les souverains pontifes eux-mêmes avoient reconnu cette vérité. « Il y a deux puissances, dit le pape Gélase I. écrivant à l’empereur Anastase, qui gouvernent le monde ; l’autorité des pontifes & la puissance royale.... sachez que quoique vous présidiez au genre humain dans les choses temporelles, vous devez cependant être soumis aux ministres de Dieu dans tout ce qui concerne la religion : car si les évêques se soumettent aux lois que vous faites touchant le temporel, parce qu’ils reconnoissent que vous avez reçu de Dieu le gouvernement de l’empire, avec quelle affection ne devez-vous pas obéir à ceux qui sont préposés pour l’administration des saints mysteres ? tome IV. des concil. ». Innocent III. cap. per venerabilem, dit expressément, que le roi de France ne reconnoît point de supérieur pour le temporel : & Clément V. déclare que la bulle unam sanctam de Boniface VIII. ne donne à l’Eglise romaine aucun nouveau droit sur le roi, ni sur le royaume de France. Dira-t-on que ces pontifes si éclairés ignoroient ou négligeoient leurs droits ?

La doctrine des ultramontains est donc diamétralement opposée à celle de l’Ecriture, des peres & des papes mêmes ; il y a plus, elle choque manifestement la raison en réduisant même leurs prétentions au pouvoir indirect. Car pour que ce pouvoir fût quelque chose de réel, il faudroit ou que le pouvoir des clés eût par lui-même la force de dépouiller immédiatement dans le cas de besoin non-seulement des biens célestes, mais encore des biens temporels ; ou que la privation des biens spirituels, effet immédiat & naturel du pouvoir des clés, emportât par sa nature, dans le cas de nécessité, la privation même des biens temporels. Or ni l’une ni l’autre de ces suppositions ne peut être admise. 1°. L’effet propre & unique du pouvoir des clés, même dans les circonstances les plus pressantes, se borne au dépouillement des biens spirituels. Si votre frere n’écoute pas l’Eglise, dit Jesus-Christ, Matth. xviij. vers. 17. qu’il soit à votre égard comme un païen & un publicain ; c’est-à-dire, ne le regardez plus comme une personne qui puisse vivre en société de religion avec vous, ne l’admettez ni aux prieres communes, ni à la participation des sacremens, ni à l’entrée de l’église, ni à la sépulture chrétienne. Voilà précisément à quoi se

réduisent les effets les plus rigoureux de la puissance ecclésiastique. Les saints docteurs n’en ont jamais reconnu d’autres, & toutes les fois que cette séverité n’a point produit ce qu’on en espéroit, l’Eglise n’a eu recours qu’aux larmes, aux prieres & aux gémissemens. 2°. Il est faux que la privation juridique des biens spirituels emporte par sa propre efficace, dans le cas d’une nécessité pressante, le dépouillement des biens temporels. L’Eglise n’a jamais admis ce principe, & il est même impossible de le recevoir. Car la séverité plus rigoureuse de la puissance ecclésiastique ne peut s’étendre qu’au dépouillement des biens que l’on a comme fidele, & il est constant d’ailleurs qu’on ne possede pas les biens terrestres à titre de chrétien, mais à titre de citoyen, qualité qui ne donne aucun lieu à la jurisdiction ecclésiastique.

Enfin on regarde avec raison cette doctrine comme dangereuse, capable de troubler la tranquillité des états, & de renverser les fondemens de la société. En effet les conséquences de ces principes sont affreuses ; en les suivant, « un roi déposé n’est plus un roi, dit M. l’abbé Fleury ; donc s’il continue à se porter pour roi, c’est un tyran, c’est-à-dire un ennemi public, à qui tout homme doit courir sus. Qu’il se trouve un fanatique qui ayant lu dans Plutarque la vie de Timoléon ou de Brutus, se persuade que rien n’est plus glorieux que de délivrer sa patrie ; ou qui prenant de travers les exemples de l’Ecriture, se croye suscité comme Aod ou comme Judith, pour affranchir le peuple de Dieu. Voilà la vie de ce prétendu tyran exposée au caprice de ce visionnaire, qui croira faire une action héroïque & gagner la couronne du martyre Il n’y en a par malheur, continue cet écrivain, que trop d’exemples dans l’histoire des derniers siecles ». Dict. sur l’hist. ecclésiast. depuis l’an 600 jusqu’à l’an 1100, n°. 18.

C’est donc à juste titre que les plus célebres universités, & entre autres la faculté de Paris, & les églises les plus florissantes, telles que celle d’Allemagne, d’Angleterre & d’Espagne, ont proscrit cette doctrine comme dangereuse. De tout tems l’église gallicane l’a rejettée ou combattue, mais sur-tout par la fameuse déclaration du clergé en 1682, sur laquelle on peut consulter l’ouvrage de M. Dupin, & celui de M. Bossuet dont nous avons déja parlé.

TEMS, s. m. (Métaphysique.) succession de phénomenes dans l’univers, ou mode de durée marqué par certaines périodes & mesures, & principalement par le mouvement & par la révolution apparente du soleil. Voyez Mode & Durée.

Voici les différentes opinions des philosophes sur le tems.

M. Locke observe que l’idée du tems en général s’acquiert en considérant quelque partie d’une durée infinie, divisée par des mesures périodiques ; & l’idée de quelque tems particulier ou de longueur de durée, comme est un jour, un heure, &c. s’acquiert d’abord en remarquant certains corps qui se meuvent suivant des périodes régulieres, &, à ce qu’il semble, également distantes les unes des autres.

Comme nous pouvons nous représenter ou répéter tant que nous voulons ces longueurs ou mesures de tems, nous pouvons aussi nous imaginer une durée, dans laquelle rien ne se passe ou n’existe réellement, &c. c’est ainsi que nous nous formons l’idée de ce qu’on appelle lendemain, année prochaine, &c.

Quelques-uns des philosophes modernes définissent le tems ; la durée d’une chose dont l’existence n’est point sans commencement, ni sans fin ; ce qui distingue le tems de l’éternité. Voyez Éternité.

Aristote & les Péripatéticiens définissent le tems, numerus motûs secundum priùs & posteriùs ; ou une multitude de parties de mouvement qui passent & se suc-