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Ils divisoient aussi la divination artificielle en deux especes : l’une expérimentale, tirée de causes naturelles, & telle que les prédictions que les Astronomes font des éclipses, &c. ou les jugemens que les Medecins portent sur la terminaison des maladies, ou les conjectures que forment les politiques sur les révolutions des états, comme il arriva à Jugurtha sortant de Rome, où il avoit réussi à force d’argent à se justifier d’un crime atroce, lorsqu’il dit : O venalem urbem, & mox perituram, si emptorem inveneris ! L’autre chimérique, extravagante, consistant en pratiques capricieuses, fondées sur de faux jugemens, & accréditées par la superstition.

Cette derniere branche mettoit en œuvre la terre, l’eau, l’air, le feu, les oiseaux, les entrailles des animaux, les songes, la physionomie, les lignes de la main, les points amenés au hasard, les nombres, les noms, les mouvemens d’un anneau, d’un sas, & les ouvrages de quelques auteurs ; d’où vinrent les sorts appellés prænestinæ, virgilianæ, homericæ. Il y avoit beaucoup d’autres sorts. Voici les principaux.

Les anciens avoient l’alphitomantie ou aleuromantie, ou le sort par la fleur de farine ; l’axinomantie, ou le sort par la hache ; la bélomantie, ou le sort par les fleches ; la botanomantie, ou le sort par les plantes ; la capnomantie, ou le sort par la fumée ; la catoptromantie, ou le sort par un miroir ; la céromantie, ou le sort par les figures de cire ; le cledonisme, ou le sort par des mots ou voix ; la cleidomantie, ou le sort par les clés ; la coscinomantie, ou le sort par le crible ; la dactyliomantie, ou le sort par plusieurs anneaux ; l’hydromantie, ou le sort par l’eau de mer ; la pegomantie, ou le sort par l’eau de source ; la geomantie, ou le sort par la terre ; la lychnomantie, ou le sort par les lampes ; la gastromantie, ou le sort par les phioles ; l’ooscopie, ou le sort par les œufs ; l’extispicine, ou le sort par les entrailles des victimes ; la keraunoscopie, ou le sort par la foudre ; la chyromantie, ou le sort par l’inspection des lignes de la main ; la crystallomantie, ou le sort par le crystal ou un autre corps transparent ; l’arithmomantie, ou le sort par les nombres ; la pyromantie, ou le sort par le feu ; la lythomantie, ou le sort par les pierres, la necromantie, ou le sort par les morts ; l’oneirocritique, ou le sort par les songes ; l’ornithomantie, ou le sort par le vol & le chant des oiseaux ; l’alectryomantie, ou le sort par le coq ; la lecynomantie, ou le sort par le bassin ; la rhabdomantie, ou le sort par les bâtons, &c. Voyez tous ces sorts à leurs articles ; & pour en avoir une connoissance encore plus étendue, voyez le livre de sapientiâ de Cardan, & les disquisitiones magicæ de Delrio.

Ce dernier auteur propose des notions & des divisions de la divination un peu différentes de celles qui précedent. Il définit la divination, la révélation des choses cachées, en vertu d’un pact fait avec le démon ; (significatio occultorum ex pactis conventis cum dæmone) définition qui n’est pas exacte, puisqu’il y a des especes de divination, telle que la naturelle, qui ne sont fondées sur aucun engagement avec le diable.

Delrio distingue deux especes de pacts, l’un implicite, l’autre explicite ; conséquemment il institue deux sortes de divinations : il comprend sous la premiere la théomantie ou les oracles, & la manganie ou goétie, à laquelle il rapporte la nécromantie, l’hydromantie, la géomantie, &c. Il range sous la seconde l’haruspicine, avec l’anthropomantie, la céromantie, la lithomantie, toutes les divinations qui se font par l’inspection d’un objet, les augures, les aruspices, les sorts, &c. les conjectures tirées des astres, des arbres, des élémens, des météores, des plantes, des animaux, &c. il observe seulement que cette derniere est tantôt licite, tantôt illicite ; & par cette distinction il détruit sa définition générale : car si toute divination

est fondée sur un pact, soit implicite, soit explicite, il n’y en a aucune qui puisse être innocente.

Les Grecs & les Romains eurent pour toutes ces sottises le respect le plus religieux, tant qu’ils ne furent point éclairés par la culture des Sciences ; mais ils s’en desabuserent peu-à-peu. Caton consulté sur ce que prognostiquoient des bottines mangées par des rats, répondit qu’il n’y avoit rien de surprenant en cela ; mais que c’eût été un prodige inoüi si les bottines avoient mangé les rats. Cicéron ne fut pas plus crédule : la myomantie n’est pas mieux traitée dans ses livres, & il n’épargne pas le ridicule à toutes les autres sortes de divinations, sans en excepter ni les oracles, ni les augures, ni les aruspices. Après avoir remarqué que jamais un plus grand intérêt n’avoit agité les Romains, que celui qui les divisoit dans la querelle de César & de Pompée ; il ajoûte que jamais aussi on n’avoit tant interrogé les dieux ; hoc bello civili dii immortales quam multa luserunt !

M. Pluche, dans son histoire du ciel, conséquemment au système qu’il s’est formé, fait naître la divination chez les Egyptiens de l’oubli de la signification des symboles dont on se servoit au commencement pour annoncer au peuple les devoirs & les occupations, soit de la vie civile, soit de la religion ; & lorsqu’on lui demande comment il s’est pû faire que la signification des symboles se soit perdue, & que tout l’appareil de la religion ait pris un tour si étrange ; il répond « que ce fut en s’attachant à la lettre que les peuples reçurent presqu’universellement les augures, la persuasion des influences planétaires, les prédictions de l’Astrologie, les opérations de l’Alchimie, les différens genres de divinations, par les serpens, par les oiseaux, par les bâtons, &c. la magie, les enchantemens, les évocations, &c. Le monde, ajoûte-t-il, se trouva ainsi tout rempli d’opinions insensées, dont on n’est pas par-tout également revenu, & dont il est très-utile de bien connoître le faux, parce qu’elles sont aussi contraires à la vraie piété & au repos de la vie, qu’à l’avancement du vrai savoir ». Mais comment arriva-t-il que les peuples prirent tous les symboles à la lettre ? Il ne faut pour cela qu’une grande révolution dans un état, qui soit suivie de trois ou quatre siecles d’ignorance. Nous avons l’expérience, & de ces révolutions dans l’état, & de l’effet des siecles d’ignorance qui les ont suivies, sur les idées & les opinions des hommes, tant en matiere de sciences & d’arts, qu’en matiere de religion.

M. l’abbé de Condillac a fait aussi quelques conjectures philosophiques sur l’origine & les progrès de la divination : comme elles sont très-justes, & qu’elles peuvent s’étendre à beaucoup d’autres systèmes d’erreurs, nous invitons le lecteur à lire particulierement ce morceau, dans le traité que le métaphysicien que nous venons de citer a publié sur les systèmes. Voici ses idées principales, auxquelles nous avons pris la liberté d’entrelacer quelques-unes des nôtres.

Nous sommes alternativement heureux & malheureux, quelquefois sans savoir pourquoi : ces alternatives ont été une source naturelle de conjectures pour ces esprits qui croyent interroger la nature, quand ils ne consultent que leur imagination. Tant que les maux ne furent que particuliers, aucune de ces conjectures ne se répandit assez pour devenir l’opinion publique ; mais une affliction fut-elle épidémique, elle devint un objet capable de fixer l’attention générale, & une occasion pour les hommes à imagination de faire adopter leurs idées ? Un mot qui leur échapa peut-être alors par hasard, fut le fondement d’un préjugé : un Etre qui se trouve heureux en faisant le malheur du genre humain, introduit dans