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une apostrophe, dans une exclamation pathétique, fut à l’instant réalisé par la multitude, qui se sentit pour ainsi dire consolée, lorsqu’on lui présenta un objet à qui elle pût s’en prendre dans son infortune.

Mais lorsque la crainte eut engendré un génie malfaisant, l’espérance ne tarda pas à créer un génie favorable ; & l’imagination conduite par la diversité des phénomenes, des circonstances, de la combinaison des idées, des opinions, des évenemens, des réflexions, à en multiplier les especes, en remplit la terre, les eaux, & les airs, & leur établit une infinité de cultes divers, qui éprouverent à leur tour une infinité de révolutions différentes. L’influence du soleil sur tout ce qui existe étoit trop sensible pour n’être pas remarquée ; & bien tôt cet astre fut compté parmi les êtres bienfaisans. On supposa de l’influence à la lune ; on étendit ce système à tous les corps célestes : l’imagination aidée par des conjectures que le tems amene nécessairement, dispensa à son gré entre ces corps un caractere de bonté ou de malignité ; & les cieux parurent aussi concerter le bonheur ou le malheur des hommes : on y lut tous les grands évenemens, les guerres, les pestes, les famines, la mort des souverains, &c. on attacha ces évenemens aux phénomenes les plus rares, tels que les éclipses, l’apparition des cometes ; ou l’on supposa du rapport entre ces choses, ou plûtôt la coïncidence fortuite des évenemens & des phénomenes fit croire qu’il y en avoit.

Un moment de réflexion sur l’enchaînement universel des êtres, auroit renversé toutes ces idées : mais la crainte & l’espérance réfléchissent-elles ? le moyen de rejetter en doute l’influence d’une planete, lorsqu’elle nous promet la mort d’un tyran ?

La liaison qu’on est si fort tenté de supposer entre les noms & les choses, dirigerent dans la dispensation des caracteres qu’on cherchoit à attacher aux êtres : la flaterie avoit donné à une planete le nom de Jupiter, de Mars, de Venus : la superstition rendit ces astres dispensateurs des dignités, de la force, de la beauté : les signes du Zodiaque dûrent leurs vertus aux animaux d’après lesquels ils avoient été formés. Mais toute qualité a ses analogues : l’analogie arrondit donc le cortége des bonnes ou mauvaises qualités qu’un corps céleste pouvoit darder sur un être à la naissance duquel il présidoit ; l’action des corps célestes se tempéra réciproquement.

Ce système étoit exposé à beaucoup de difficultés : mais ou l’on ne daignoit pas s’y arrêter, ou l’on n’étoit guere embarrassé d’y trouver des réponses. Voilà donc le système d’Astrologie judiciaire élevé : on fait des prédictions ; on en fait une bonne sur neuf cents quatre-vingts-dix-neuf mauvaises ; mais la bonne est la seule dont on parle, & sur laquelle on juge de l’art.

Cette seule prédiction merveilleuse racontée en mille manieres différentes, se multiplie en mille prédictions heureuses : le mensonge & la fourberie entrent en jeu ; & bien-tôt on a plus de faits & plus de merveilles qu’il n’en faut pour faire face à la philosophie méfiante à la vérité, mais à qui l’expérience ne manque jamais d’en imposer, quand on la lui objecte.

Lorsque les influences des corps célestes furent bien avouées, on ne put se dispenser d’accorder quelqu’intelligence à ces êtres : on s’adressa donc à eux, on les évoqua. On saisit une baguette ; on traça des figures, sur la terre, dans les airs ; on prononça à voix haute ou basse des discours mystérieux, & l’on se promit d’obtenir tout ce qu’on desiroit.

Mais l’on considéra que s’il étoit important de pouvoir évoquer les êtres bien ou malfaisans, il l’étoit bien plus d’avoir sur soi quelque chose qui nous en assûrât la protection : on suivit les mêmes

principes, & l’on construisit des talismans, des amulettes, &c.

S’il est des évenemens fortuits qui secondent la découverte des vérités, il en est aussi qui favorisent les progrès de l’erreur : tel fut l’oubli du sens des caracteres hiéroglyphiques, qui suivit nécessairement l’établissement des caracteres de l’alphabet. On attribua donc aux caracteres hiéroglyphiques telle vertu qu’on desira ; ces signes passerent dans la magie : le système de la divination n’en devint que plus composé, plus obscur, & plus merveilleux.

Les hiéroglyphes renfermoient des traits de toute espece : il n’y eut donc plus de ligne qui ne devînt un signe ; il ne fut plus question que de chercher ce signe sur quelque partie du corps humain, dans la main par exemple, pour donner naissance à la chiromantie.

L’imagination des hommes n’agit jamais plus fortement & plus capricieusement que dans le sommeil ; mais à qui la superstition pouvoit elle attribuer ces scenes d’objets si singulieres & si frappantes qui nous sont offertes dans certains songes, si ce n’est aux dieux ? Telle fut l’origine de l’oneirocritique : il étoit difficile qu’on n’apperçût pas entre les évenemens du jour & les représentations nocturnes quelques vestiges d’analogie ; ces vestiges devinrent le fondement de l’oneirocritique : on attacha tel évenement à tel objet ; & bien-tôt il se trouva des gens qui eurent des prédictions prêtes pour tout ce qu’on avoit rêvé. Il arriva même ici une bisarrerie, c’est que le contraire de ce que l’on avoit rêvé pendant la nuit, étant quelquefois arrivé pendant le jour, on en fit la regle de prédire par les contraires.

Mais que devoit-il arriver à des hommes obsédés des prestiges de la divination, & se croyant sans cesse environnés d’êtres bien ou mal-faisans, sinon de se jetter sur tous les objets & sur tous les évenemens, & de les transformer en types, en avertissemens, en signes, en prognostics, &c. Aussi ils ne tarderent pas d’entendre la volonté des dieux dans le chant d’un rossignol, de voir leurs decrets dans le mouvement des aîles d’une corneille, & d’en lire les arrêts irrévocables dans les entrailles d’un veau, sur-tout pendant les sacrifices ; & tels furent les fondemens de l’art des aruspices. Quelques paroles échappées au sacrificateur, se trouverent par hasard relatives au motif secret de celui qui recouroit à l’assistance des dieux ; on les prit pour une inspiration : ce succès donna occasion à plus d’une distraction de cette espece : moins on parut maître de ses mouvemens, plus ils semblerent divins, & l’on crut qu’il falloit perdre la raison à force de s’agiter, pour être inspiré & rendre un oracle. Ce fut par cette raison qu’on éleva des temples dans les lieux où les exhalaisons de la terre aliénoient l’esprit.

Il ne manquoit plus que de faire mouvoir & parler les statues, & la fourberie des prêtres eut bientôt contenté la superstition des peuples.

L’imagination va vîte quand elle s’égare. S’il y a des dieux, ils disposent de tout : donc il n’y a rien qui ne puisse être le signe de leur volonté, & de notre destinée ; & voilà tout d’un coup les choses les plus communes & les plus rares érigées en bons ou mauvais augures ; mais les objets de vénération ayant à cet égard quelque liaison de culte avec les dieux, on les crut plus propres que les autres à désigner leur volonté, & l’on chercha des prophéties dans les poëmes de la guerre de Troie.

Ce système d’absurdités acheva de s’accréditer par les opinions qu’eurent les Philosophes de l’action de Dieu sur l’ame humaine, par la facilité que quelques hommes trouverent dans les connoissances de la Médecine pour s’élever à la dignité de sorciers, & par la nécessité d’un motif respectable pour le peuple, qui