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premiers sont les meilleurs. Lorsqu’il est répandu sur la terre, on le laboure, & l’on en tire quatre récoltes de suite, après lesquelles on laisse la terre en pacage pendant six ou sept ans : & l’on recommence. On observe que l’herbe qui croît dans ces champs, engraisse très-promptement les animaux, & leur donne une grande quantité d’excellent lait. Les grains qu’on y seme ont un tuyau fort court, mais les épis sont très-longs & très-gros.

Cinquieme qualité, les terres à brique : elles different de la glaise en ce que l’eau filtre aisément au-travers, & qu’elles ne sont point mêlées de pierres. Leurs productions naturelles sont du genêt, de la bruyere, du chiendent, & toutes sortes de mauvaises plantes. Les meilleures, lorsqu’elles sont bien fumées, sont ensemencées d’orge, d’avoine, de froment, de sarrasin, de turnipes, & de pois. Dans quelques-unes on seme du trefle ou de la luserne ; mais ces plantes n’y durent pas : en fait de prairies artificielles, c’est le faux segle qui y convient le mieux. Les engrais les plus convenables à ces terres, sont la marne & les cendres de charbon de terre.

Mais le mêlange de ces terres à brique avec les autres, est regardé comme une très-bonne amélioration, étant un moyen entre les extrèmes, liant les terres trop tendres, & rafraichissant celles qui sont trop chaudes.

Sixieme qualité, les terres pierreuses ; elles sont ordinairement mêlangées de diverses qualités de terres ; leur fertilité & leur culture dépendent de la nature de ce mêlange. Si ces pierres sont de qualité froide, on tâche d’en purger le champ, excepté dans les terreins secs & legers où on les laisse.

Lorsque la terre est maigre, mêlée de petites pierres de la qualité du moilon, ou bien que le terroir est pierreux, mêlé de terre aigre, comme dans la province d’Oxford, on la cultive suivant qu’elle est plus ou moins couverte d’herbes ; si elles y sont abondantes, on brûle la terre vers le mois de Juillet ou d’Août : c’est la méthode employée dans toutes les terres stériles, aigres, couvertes de bruyeres & de joncs, soit qu’elles soient froides ou chaudes, seches ou mouillées ; & dans deux ou trois récoltes elles rendent, tous frais faits, plus que l’on en eût retiré de capital à les vendre.

Pour brûler ces terres on a coûtume de les parer : on se sert d’un instrument armé d’un soc recourbé sur un de ses côtés, de huit à neuf pouces de long ; un homme le pousse devant soi, & enleve le gason par formes d’un pié & demi, qui se renversent d’elles-mêmes ; on mord d’environ un demi-pouce, à moins que la terre ne soit remplie de racines ou de filamens : pourvû que ce soient des matieres combustibles, l’épaisseur des formes fera un bon effet ; on a soin de les renverser afin qu’elles sechent plus facilement, à moins que le tems ne soit très-sec, & alors on n’a pas besoin de tant de précaution. Dès que ces formes sont seches, on les entasse par petits monceaux de deux broüettées, & l’on y met le feu, qui prend aisément s’il se trouve beaucoup de racines ; sinon on l’anime avec de petits faisceaux de fougere ou de bruyere. On a l’attention de ne pas consumer cette terre par un feu vif au point de la réduire en cendres blanches ; les sels nitreux s’évaporeroient, & l’opération seroit inutile. Avant de répandre ces cendres, on attend qu’un peu de pluie leur ait donné assez de consistance pour résister au vent. Les endroits où l’on a allumé les fourneaux sont parés de nouveau un peu au-dessus de la surface ; on laboure, mais peu avant, & l’on n’employe que la quantité ordinaire de semences ; si même c’est du froment, l’on seme tard en Octobre, afin de prévenir la trop grande abondance : preuve certaine de

la bonté de cette méthode dans les plus mauvaises terres.

Quelques personnes mettent dans ces monceaux de cendres un quart de boisseau de chaux dure, & les laissent ainsi jusqu’à ce que la pluie vienne & fonde cette chaux ; lorsque le mêlange s’est ainsi opéré, on le répand sur la terre.

Lorsque le terrein dont nous parlons n’est pas fort couvert d’herbes, on lui donne de bonne-heure un labour, afin que la terre se couvre d’herbes fines qui la garantissent pendant l’été de l’ardeur du Soleil ; d’autres y font parquer les moutons pendant l’hyver, & y sement un peu d’herbe ; ou bien on se contente d’y mettre du fumier & d’y laisser du chaume. Dans les mois de Septembre, Octobre, ou Novembre, on prépare la terre suivant qu’elle est plus ou moins garnie d’herbes : l’on a éprouvé que cette méthode réussit mieux dans ces terres que des labours en regle.

En général les terres pierreuses en Angleterre, tenant davantage de la nature des glaises, on les gouverne à-peu-près de même.

Les prairies artificielles dont nous avons eu occasion de parler, sont une des grandes richesses de l’agriculture angloise : elle ne sépare jamais la nourriture des bestiaux du labourage, soit à cause du profit qu’elle donne par elle-même, soit parce qu’elle-même fertilise les terres : ainsi alternativement une partie des terres à blé d’une ferme est labourée & semée en grande & petite luserne, en trefle, en sainfoin, en gros navets, dont il paroît que nous conservons le nom anglois turnip, pour les distinguer des navets des potagers ; enfin avec une herbe qu’ils appellent ray-grass, qui est inconnue à nos cultivateurs, puisque nous n’avons pas de mot pour la rendre. Quelques personnes ont traduit ray-grass par segle avec peu d’exactitude, car il répond au gramen secalinum majus : ainsi c’est une des especes de chiendent que les Botanistes ont reconnues. Je le traduirai par faux segle ; & ce sera la seule espece de prairie artificielle dont je parlerai, puisque nous connoissons assez les propriétés & la culture des autres. Nous n’en tirons cependant presque point de parti en comparaison des Anglois ; aussi sommes-nous bien moins riches en troupeaux de toute espece : dès-lors toutes choses égales d’ailleurs, nos récoltes doivent être moins abondantes, notre agriculture moins lucrative, nos hommes moins bien nourris, ou à plus grands frais. Le faux segle est une des plus riches prairies artificielles, parce qu’il vient dans toutes sortes de terres froides, aigres, argilleuses, humides, dans les plus seches & les plus maigres, comme les terres pierreuses, legeres, & sabloneuses où le sainfoin même ne réussiroit pas. Il résiste très-bien aux chaleurs, & c’est le premier fourrage que l’on recueille, puisqu’on peut le couper dès le printems. Il devient très-doux à garder ; les chevaux n’en peuvent manger de meilleur, & il a des effets merveilleux pour les moutons qui ne se portent pas bien. On en seme ordinairement trois boisseaux par acre de loi, ce qui fait un peu plus que notre setier de Paris, & l’acre de loi est de 160 perches quarrées, la perche de 16 p. . Le plus sûr est d’y mêler un peu de graine de luserne, ou de nompareille autrement dite fleur de Constantinople & de Bristol. La raison de ce mêlange est que l’épi du faux segle vient naturellement très-foible & clair-semé ; si on ne lui associoit pas une autre plante, il ne talleroit point la premiere année. Quatre acres ainsi semés ont rendu jusqu’à 40 quarters de graine, & 14 charretées de fourrage, sans compter l’engrais de sept à huit vaches au printems, & autant dans l’automne.

Ces notions préliminaires suffiront pour lire avec fruit & avec plaisir la lettre que j’ai annoncée : mais