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je n’étois pas assez versé dans l’Agriculture pour pousser mes recherches plus avant ; je souhaite qu’elles fassent naître le goût de l’instruction dans ceux pour qui elles seront nouvelles, ou que les méprises dans lesquelles j’ai pû tomber, excitent le zele de ceux qui sont en état d’instruire. L’expérience est la meilleure de toutes les leçons en fait de culture ; il seroit fort à desirer que ceux qui ont le bonheur de vivre dans leurs terres, saisissent ce moyen de varier leurs plaisirs, & d’accroître leurs revenus. Des expériences en grand sont toûjours imprudentes, mais en petites parties la dépense de celles que je conseille est legere. La seule voie de se procurer un corps complet d’agriculture, seroit sans doute de rassembler les diverses observations qu’auroient fourni dans chaque province chaque nature de sol : on ne peut attendre d’instructions des mains auxquelles le soc est uniquement confié aujourd’hui.

Etat de l’agriculture dans le comté de Norfolk, & de la méthode qu’on y suit. L’application que les Anglois ont apportée à l’agriculture depuis un nombre d’années, leur a assûré dans ce genre une telle supériorité sur les autres nations, qu’il est intéressant de connoître la gradation de leurs succès dans chaque contrée.

On croit communément à Londres que feu milord Thownshend a le premier imaginé de féconder nos terres avec de la glaise. Cette opinion n’a d’autre fondement que le parti que prit ce seigneur de faire une dépense, par laquelle très-peu de nos gentilshommes songent à améliorer leurs terres qu’ils ne voyent presque jamais : celui-ci enrichit ses fermiers, & doubla ses revenus.

Il y a très-peu de grandes terres dans le royaume sur lesquelles mille guinées dépensées à-propos, ne rapportent au moins dix pour cent ; malgré l’absence de nos seigneurs & la dissipation de la plûpart d’entr’eux, il n’est point rare de voir des personnes de la premiere qualité s’appliquer à ces sortes d’améliorations.

Milord Thownshend s’étant retiré dans ses terres, imita d’abord, mais il surpassa bientôt ses modeles. Par ses soins il établit des fermes au milieu des bruyeres & des pacages ; il forma des champs fertiles, enclos de haies vives, dans des terreins réputés trop maigres jusque-là pour les labourer.

Ces sortes de défrichemens avoient déjà été poussés très-loin dans la partie occidentale de cette province, M. Allen, de la maison de Lynge, est le premier que l’on suppose y avoir glaisé une grande étendue de terres. Avant lui cependant on le pratiquoit ; mais les gens âgés de quarante à cinquante ans, ne se souviennent pas de l’avoir vû faire sur un plus grand espace que de deux ou trois acres.

Ces méthodes sont très-anciennes dans les provinces de Sommerset & de Stafford ; je ne doute point qu’elles ne le soient également dans celle-ci. Nous avons beaucoup de carrieres dont il paroît que l’on a tiré de la glaise, & qui même en ont conservé le nom dans des titres qui ont plus de 200 ans. Divers anciens auteurs œconomiques parlent de cette maniere d’améliorer les terres par des engrais tirés de son sein même.

En Angleterre, la régence est l’époque de plusieurs établissemens avantageux à l’agriculture : un des principaux, à mon avis, est l’introduction des prairies artificielles ; elles ne furent d’un usage commun que sous le regne qui suivit : cependant on voit par les ouvrages de MM. Hartlip & Blith, qu’elles commencerent alors à prendre pié. En 1689, on établit la gratification sur la sortie des blés. Au commencement de ce siecle, on introduisit l’usage de nourrir des bestiaux avec des navets ou turpines.

L’avantage d’enclore les pieces de terre a été con-

nu depuis long-tems dans nos provinces ; & depuis

qu’on s’est dégoûté du partage des terres en petits héritages, l’ancienne coûtume est revenue plus facilement ; souvent leur mêlange empêchoit que l’on ne pût clore de grandes enceintes. La province de Norfolk a été particulierement, dans ce cas, au point qu’autrefois les chefs-lieux n’étoient pas fermés.

La plûpart des terres de cette province sont molles & legeres, un peu grasses, & en général assez profondes (Loam). Les fermiers de la partie occidentale ont long-tems borné leur culture à nourrir des brebis pour avoir des agneaux, qu’ils vendoient aux provinces voisines pour faire race.

Depuis la défense de l’extraction des laines, le prix en a diminué ; celui des moutons en a souffert également, tandis que la valeur du blé, du beurre, & du gros bétail augmentoit. Cette révolution n’a pas peu contribué à introduire la nouvelle culture dans cette province, où les grains, le beurre, & le gros bétail, sont par conséquent devenus plus abondans.

A cette cause j’en joindrai une autre plus éloignée, mais qui doit aussi avoir influé sur ce changement. On sait que les Hollandois ont beaucoup diminué des achats qu’ils faisoient des blés de la Pologne par Dantzick ; soit que les guerres civiles ayent laissé dans ce royaume des vestiges de leurs ravages ordinaires ; soit que la plus grande demande des Suédois depuis la paix de Nystad y ait renchéri les prix. En effet, par ce traité la Russie est en possession des seules provinces qui puissent fournir à la subsistance de la Suede, & l’extraction des grains n’y est pas toûjours permise.

Ces deux dernieres circonstances peuvent avoir contribué à l’amélioration des terres dans le comté de Norfolk, plus qu’en aucun autre endroit ; parce que sa situation est la plus commode pour le transport en Hollande ; elle a dû faire en même tems plus de bruit, parce que sous la reine Elisabeth c’est la province où le labourage fut le plus abandonné pour la nourriture des moutons.

Toutes ces causes ont vraissemblablement concouru aux progrès rapides de notre province dans l’agriculture, & y ont accrédité une méthode connue il y a près de cent ans, mais dont l’usage s’est infiniment accrû depuis.

Pour en concevoir mieux la différence, il faut en examiner l’état progressif dans plusieurs métairies dont les propriétaires n’ont encore pû se résoudre à quitter une pratique qui les a fait vivre & leurs peres, quoiqu’ils voyent leurs voisins s’enrichir par la nouvelle.

Il reste encore un petit nombre de fermes dont les champs sont ouverts, & ne peuvent joüir du bénéfice des prairies artificielles. Quelques-uns de ces propriétaires cependant ont glaisé leurs terres ; mais ils n’en retirent pas autant d’avantage que leurs voisins qui sont enclos. La raison en est simple, ils suivent la routine de leurs quadrisayeuls. A une récolte de froment succede une année de jachere ; ensuite deux, trois ou quatre moissons au plus d’orge, d’avoine, de pois, après lesquelles revient une année de repos. Par conséquent sur trois, quatre ou cinq ans, il y en a toûjours au moins une de perdue, pendant laquelle la terre reste en friche & s’amaigrit. Les meilleures de ces terres rapportent de 5 à 8 s. par acre (de 6 à 9 liv. 10 s. tournois), & aucun fermier ne peut vivre dessus. Quelques-uns sement un peu de trefle ou de luserne, mais avec peu de profit, étant obligés de donner du fourrage à leurs bestiaux pendant l’hyver ; & dans la saison où chacun les envoye paître dans les champs, leur herbe devient commune aux troupeaux des autres.

Quelques-unes des parties encloses ne sont point