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compare ses idées : ainsi un homme qui est dans le délire se persuade que les idées qui lui sont représentées à l’occasion de la cause interne qui les excite, sont vraies, parce qu’elles sont aussi vives & lui paroissent semblables à celles qu’excitoient autrefois en lui les objets externes.

Toutes les idées qui naissent en nous, représentent un objet agréable, ou desagréable, ou indifférent. On se détermine en conséquence à agir pour se procurer la continuation de ce sentiment agréable, ou pour éloigner celui qui déplaît, ou on ne fait pas d’attention à ce qui est indifférent.

Ainsi lorsqu’il survient à ceux qui sont dans le délire quelques-unes des idées des deux premieres especes, qui sont propres à exciter de violentes affections de l’ame, ils s’agitent beaucoup, ils blessent les assistans qui veulent les contenir, ils renversent tous les obstacles qui se présentent, pour parvenir à se procurer les choses qu’ils desirent, ou à éloigner celles qu’ils craignent : telles sont les délires qu’Hippocrate appelle φερίοδες ; dans lesquels ni les menaces, ni les dangers, ni la raison, ne peuvent retenir les malades qui en sont attaqués, ni les empêcher de nuire à eux-mêmes & aux autres. Il les compare à des bêtes sauvages, selon la signification du mot grec ci-dessus : mais lorsqu’ils ne sont occupés que d’idées qui n’ont rien de bien attrayant ni de déplaisant, il ne s’ensuit aucune agitation du corps, aucun mouvement violent, ils n’en sont cependant pas moins dans le délire ; tels que ceux dont Hippocrate dit dans son liv. I. des prédictions : « Les délires obscurs accompagnés de legers tremblemens des membres, & dans lesquels les malades cherchent à palper quelque chose en tatonnant continuellement, sont très-phrénétiques ». Ainsi les Medecins se trompent quand ils ne croyent pas dans le délire leurs malades, qu’ils ne sortent du lit, qu’ils ne s’agitent violemment, & ne fassent de grands cris. Ces délires obscurs sont de très-mauvais augure, & il est très-nécessaire de les connoître : car, comme dans toute sorte de délire il y a toûjours une portion de la substance médullaire affectée, dans le cas dont il s’agit il peut y avoir un très-grand danger, quoiqu’il ne paroisse pas de grands troubles.

Si le changement qui se fait dans l’organe des sensations par la cause morbifique interne, donne lieu à ce qu’il naisse une idée d’un objet que l’on n’a jamais vû & dont il ne s’est jamais fait aucune représentation à l’esprit, l’ame est toute occupée à le considérer, & elle en est troublée ; le malade paroît comme frappé d’étonnement, ses yeux sont ouverts, sa bouche béante, & peu de tems après il est attaqué de convulsions d’autant plus violentes que l’objet de la crainte est plus grand : c’est ce qui arrive aux épileptiques qui sont affectés dans les paroxismes de différentes couleurs, de différentes odeurs, de différens goûts, &c. qu’ils ne peuvent rapporter à aucune sensation connue ; les simples songes représentent même quelquefois des choses que l’on n’a jamais ni vûes ni imaginées. C’est sans doute sur ce fondement qu’Hippocrate a dit dans les Coaques, « que dans les fievres, les agitations de l’ame qui ont lieu, sans que le malade dise mot, quoiqu’il ne soit pas privé de la voix, sont pernicieuses ».

De tout ce qui vient d’être dit, il résulte qu’il y a bien des différens genres de délires, que l’on peut cependant réduire aux trois suivans : 1°. lorsqu’il s’excite par la cause interne cachée différentes idées simples seulement, qui sont plus ou moins vives, selon que l’impression est plus ou moins forte : 2°. lorsque de ces idées il suit un jugement, c’est un autre genre de délire : 3°. lorsque ces idées sont

présentées à l’ame comme plus ou moins agréables ou desagréables, & sont accompagnées d’agitations du corps, de mouvemens plus ou moins violens ; ce qui établit une troisieme différence de délire.

Les suites de toutes ces sortes de délires sont différentes, selon que cette passion ou telle autre sera excitée. Les changemens apparens du corps ne sont pas les mêmes pour les idées accompagnées de plaisir, & pour celles qui sont accompagnées de tristesse, de crainte. C’est ce qui a fait dire à Hippocrate dans ses aphorismes, que « les délires dans lesquels les malades semblent de bonne humeur, sont moins dangereux que ceux dans lesquels ils paroissent sérieux, fortement occupés ». Comme aussi dans les Coaques, il regarde comme très-funestes les délires dans lesquels les malades refusent ce qui leur est le plus nécessaire, comme les bouillons, la boisson, dans lesquels ils sont très-éveillés par la crainte des objets qu’ils se représentent.

Le délire est essentiel ou symptomatique, idiopatique ou sympathique. Voyez ces termes. Il est encore maniaque ou mélancholique, avec fievre ou sans fievre, habituel ou accidentel, aigu ou chronique.

Après avoir expliqué la nature du délire, & avoir exposé ses principales différences, d’après lesquelles on peut aisément se faire une idée de toutes les autres, il se présente à rechercher les causes du délire d’après les observations les plus exactes.

Dans le délire il s’excite des idées par la cause interne cachée, qui change la disposition du cerveau : ces idées sont semblables à celles qui sont naturellement excitées par l’impression des objets extérieurs : conséquemment il se réveille différentes passions dans l’ame ; ces passions sont suivies de différens mouvemens du corps, par conséquent la cause du délire agit sur l’organe des sensations, duquel naissent sans division & sans interruption tous les nerfs de toutes les parties du corps qui tendent aux muscles & aux organes des sens ; & comme les injections anatomiques nous ont appris que toute la substance médullaire du cerveau est vasculeuse, puisqu’elle est une suite de sa corticale que l’on démontre n’être qu’un composé de vaisseaux, & que les petits canaux qui composent celle-là contiennent & servent à distribuer le fluide le plus subtil du corps, ils peuvent donc être sujets aux mêmes vices qui peuvent affecter les gros vaisseaux remplis d’un fluide grossier. Ces canaux, tous déliés qu’ils sont, peuvent être obstrués, comprimés : par conséquent tout ce qui peut empêcher le cours libre des fluides dans leur cavité, peut produire le délire. On sait que dans tous les autres visceres, il faut que les liquides qui se meuvent dans les solides dont ces visceres sont composés, ayent une vitesse déterminée, & que les fonctions de ces visceres sont troublées par un mouvement trop rapide ou trop rallenti. On peut dire la même chose du cerveau. Le délire survient à plusieurs dans les fievres intermittentes, par la seule agitation des humeurs mûes avec trop de vîtesse pendant la violence de l’accès, & l’on voit ce délire cesser dès que le trop grand mouvement des humeurs diminue.

Le délire peut donc être produit par toutes les causes de l’obstruction, de l’inflammation, par tout ce qui peut augmenter ou retarder le cours des fluides en général, & par conséquent ceux du cerveau ; plusieurs causes peuvent par conséquent donner lieu au délire : mais toutes celles dont il vient d’être fait mention, ont leur siége dans le cerveau. Cependant plusieurs autres causes qui n’y agissent pas immédiatement, mais qui affectent d’autres parties du corps, peuvent affecter la substance médullaire de l’organe des sensations, comme si c’étoit une cause physique