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préexistante dans le cerveau même, quoiqu’elle en soit bien éloignée. C’est-là une chose très-importante dans la pratique, & qui, comme on voit, mérite beaucoup d’attention.

Les anciens medecins avoient déjà observé dans les autres différentes parties du corps, les changemens qui s’y faisoient, comme pouvant servir de signe du délire prochain. C’est ainsi qu’Hippocrate a dit dans ses prognostics, que « s’il y a un battement dans un des hypocondres, cela signifie ou une grande agitation, ou un délire. Les palpitations que l’on ressent dans le ventre, sont suivies de trouble dans l’esprit, &c. » Il est constant par l’histoire des plaies, des douleurs, des convulsions, de la manie, de l’épilepsie, de la mélancholie, &c. que l’organe des sensations peut être affecté par le vice de différentes parties du corps, même des plus éloignées.

On observe aussi particulierement que le délire, comme symptome de fievre, est occasionné par la matiere morbifique qui a son siége dans la région épigastrique, laquelle étant emportée par quelque moyen que ce puisse être, la fievre cesse, quoiqu’on n’employe aucun remede dont l’effet se fasse dans la tête même. Hippocrate avoit dit à ce sujet, dans son livre des affections, que « quand la bile émûe se fixe dans les visceres qui sont près du diaphragme, elle cause la phrénésie ».

On sait combien influe sur le cerveau l’action de bien des remedes, & celle des poisons sur l’estomac, lesquels étant emportés, le mal cesse. C’est la puissance d’une partie éloignée sur une autre, que Vanhelmont appelloit assez à-propos action de subordination, actio regiminis. Cette correspondance se manifeste assez par ce qui se passe dans les parties où il y a concours d’un grand nombre de nerfs qui se distribuent à plusieurs autres parties, comme dans l’orifice supérieur de l’estomac, dont les irritations occasionnent des desordres dans tout l’organe des sensations ; la cause de l’irritation ôtée, le calme suit. La raison de ces effets ne se présente pas aisément ; mais il suffit que le fait soit bien observé, pour qu’on en puisse tirer des indications salutaires pour diriger les opérations dans la pratique. On peut voir ce qui regarde plus particulierement les différentes causes de délire, dans les articles des différentes especes de cette maladie, comme Manie, Mélancholie, Phrenesie, &c. Ce qui vient d’être dit convient au délire proprement dit, que l’on observe dans la plûpart des maladies aiguës, sur-tout dans les fievres. C’est aussi de cette derniere espece de délire, que les signes qui la font connoître vont être rapportés : « car, comme dit Hippocrate, celui qui par les affections présentes juge de celles qui peuvent survenir, est en état de conduire parfaitement le traitement d’une maladie ».

Comme le délire a différens degrés, & qu’il est accompagné de symptomes très-funestes, sur-tout quand il parvient à celui de sa plus grande violence par les fortes passions de l’ame qu’il fait naître, & par les mouvemens & les agitations extraordinaires qui les accompagnent, il est très-important d’en connoître les moindres principes, pour pouvoir en prévenir l’accroissement & les suites : ce qui demande beaucoup d’application. Galien use à ce propos d’une comparaison qui est très-ingénieuse : il dit « que comme il n’y a que les habiles jardiniers qui connoissent les plantes, & les distinguent les unes des autres lorsqu’elles ne font que sortir de terre, pendant que tout le monde les connoît quand elles sont dans leur force ; de même il n’y a que les habiles medecins qui apperçoivent les signes d’un délire prochain ou commençant, tandis que personne n’en méconnoît les symptomes, lorsque le malade

s’agite sans raison apparente, se jette hors du lit, devient furieux, &c. »

C’est l’importance de cette connoissance des signes du délire, qui les a fait observer si soigneusement à Hippocrate tels que nous allons en rapporter quelques-uns. Il dit dans ses prognostics, que « c’est un signe de délire ou de douleur de quelque partie de l’abdomen de se tenir couché sur le ventre, pour celui qui n’est pas accoutumé de se coucher dans cette attitude en santé ». Il dit aussi dans le même livre, que « le malade qui grince des dents, n’ayant pas eu cette habitude depuis son enfance, est menacé de délire & de mort prochaine ». On y lit encore, que « la respiration longue & profonde signifie aussi le délire ; lorsqu’il y a battement dans les flancs, & que les yeux paroissent agités, on doit s’attendre au délire ». La douleur aiguë de l’oreille dans une fievre violente, la langue rude & seche, la langue tremblante, le visage enflammé, le regard féroce, le vomissement des matieres bilieuses, poracées, les urines rougeâtres, claires, & quelquefois blanches, ce qui est bien plus mauvais, sont tous des signes d’une disposition au délire. Mais ce qu’Hippocrate regarde comme le plus sûr indice d’un délire prochain, c’est que le malade s’occupe des choses auxquelles il n’étoit pas en coûtume de penser, ou même contraires : c’est à ce signe général que se rapportent les signes particuliers suivans, comme une réponse brusque de la part d’un homme ordinairement modéré, une indécence de la part d’une femme modeste, & autres choses semblables. Galien avoit éprouvé sur soi-même, que de regarder ses mains, de paroître vouloir ramasser des flocons, de chasser aux mouches, sont des signes de délire ; s’en étant apperçû par les assistans qu’il entendoit le remarquer, il demanda du secours pour prévenir la phrénésie dont il se sentoit menacé. Le délire obscur que l’on prendroit presque pour une léthargie, se distingue par un pouls dur, quoique très languissant. On trouve dans Hippocrate beaucoup d’autres signes diagnostics du délire. On se borne à ceux qui viennent d’être rapportés, pour passer aux prognostics. Extrait de Van. Swieten, comment. aph. Boerh.

Les délires qui ne sunsistent pas continuellement & donnent quelque relâche, sont les moins mauvais, sur-tout ceux qui ne durent pas long-tems, & qui ne sont accompagnés d’aucun mauvais signe : ils occasionnent plus de crainte que de danger ; comme dans les fievres intermittentes où ils paroissent dans la violence de l’accès, & se terminent avec elle, pourvû que les forces du malade suffisent à supporter la violence du mal.

Cependant aucun délire n’est regardé comme un signe de sécurité dans les maladies, ni comme un signe de mort certaine par lui seul ; non plus qu’on ne doit pas fonder une espérance assûrée sur la seule liberté de l’esprit.

Quelquefois pendant que subsistent les symptomes les plus violens, s’il survient un délire subit, c’est un signe d’une hémorrhagie ou d’une crise, selon Hippocrate dans les Coaques. L’urine fort chargée, qui donne beaucoup de sédiment, annonce la fin du délire, dans le VI. livre des épid. Une bonne sueur, si elle se fait abondamment & avec chaleur à la tête, le reste du corps suant aussi, termine le délire ; cela arrive encore quelquefois par une hémorrhagie, par les hémorrhoïdes, par de violentes douleurs, qui surviennent aux aines, aux cuisses, aux jambes, aux piés, aux mains : ce qui se fait alors par un transport de la matiere morbifique des parties plus essentielles à la vie, dans celles qui ne le sont pas.

C’est aussi un très-bon signe lorsque le sommeil