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sieurs auteurs. Locke propose, dans son traité de l’éducation des enfans, de les y soûmettre dès l’âge le plus tendre ; cet illustre Anglois s’appuie sur l’exemple de tous les peuples du Nord, où on nous assûre que c’est une pratique absolument établie depuis long-tems. Les partisans de cet usage prétendent que non-seulement il peut procurer au corps une vigueur peu commune, mais encore qu’il met presque absolument à l’abri de tous rhûmes, fluxions, douleurs, & autres incommodités qui sont dûes dans les sujets ordinaires, à leur sensibilité au froid, & à l’humidité de l’air, auxquels on est inévitablement exposé. Ces avantages sont très-grands assûrément, & il paroît assez raisonnable de ne pas les regarder comme des promesses vaines. Nous avons déjà, ce qui est beaucoup, une forte présomption qu’au moins cette méthode est sujette à peu d’inconvéniens réels. Il est peu de personnes saines, qui ayant essuyé une longue pluie qui a percé leurs habits jusqu’au corps, ayent été réellement incommodées par cet accident. L’habitude doit rendre l’application extérieure de l’eau froide, moins dangereuse encore sans contredit. On a poussé les prétentions plus loin, en faveur de l’application dont il s’agit ; on l’a érigée en remede de la foiblesse de tempérament actuelle, même chez les enfans.

Les femmes, pendant le tems des regles ou des vuidanges, ne doivent point tremper les piés ou les mains dans l’eau froide, ni s’exposer d’aucune autre façon au contact immédiat de l’eau froide. On a vû souvent ces évacuations s’arrêter par cette cause, avec tous les accidens dont ne sont que trop souvent suivies ces suppressions. Voyez Regles & Vuidanges. C’est cependant encore ici une cause de maladie, que l’habitude rend sans effet. Les femmes du peuple font leur ménage, lavent leur linge, &c. sans inconvénient, pendant leurs regles & pendant leurs vuidanges : mais leur exemple en ceci, comme sur tous les autres points de régime, ne conclut rien pour les personnes élevées délicatement, pour les corps qui ne sont pas familiarisés avec ces sortes d’épreuves.

Tout le monde sait que les personnes qui sont exposées par état à souffrir la pluie, à garder long-tems des habits mouillés sur le corps, à dormir sur la terre humide, quelquefois dans une vraie boue, ou même dans l’eau, &c. tels que les soldats, les pêcheurs de profession, les chasseurs passionnés, ceux qui travaillent sur les rivieres, &c. que ces personnes, dis-je, sont très-sujettes aux douleurs rhûmatismales, & même à certaines paralysies. Voyez Rhumatisme & Paralysie.

Les ouvriers & les manœuvres, qui ont continuellement les jambes dans l’eau, sont particulierement sujets à une espece d’ulceres malins qui attaquent cette partie, & qui sont connus sous le nom de loups. Voyez Loups, (Chirurgie).

Eau commune, (Mat. med.) Ce n’est rien que les éloges qu’on a accordés à la boisson ordinaire de l’eau pure, dans l’état de santé, en comparaison de ceux qu’on lui a prodigués à titre de remede ; elle a réuni les suffrages des Medecins de tous les siecles ; Avicenne & ses disciples ont été les seuls qui ayent paru en redouter l’usage dans les maladies.

C’est contre cette crainte systématique, qui avoit apparemment séduit quelques esprits au commencement de ce siecle, que Hecquet s’éleva avec tant de zele & de bonne-foi. Personne n’ignore l’excès jusqu’auquel il poussa ses prétentions, plus systématiques encore, en faveur de la boisson de l’eau : la mémoire toute récente de sa méthode, & plus encore le portrait le plus ressemblant que nous a tracé l’ingénieux auteur de Gilblas, sous le nom du docteur Sangrado, rendent présente cette singuliere époque

de l’histoire de la Medecine, à ceux même qui ne connoissent point les écrits aussi bisarres que fanatiques de ce medecin. Fridéric Hoffman entreprit à peu-près dans le même tems d’établir, dans une dissertation faite à dessein, que l’eau étoit la vraie medecine universelle : mais ce célebre medecin, peut-être plus blamable en cela, mais cependant moins dangereux qu’Hecquet, ne pratiqua point d’après ce dogme ; il employa beaucoup de remedes, il eut même des secrets ; il ne fut qu’un panégyriste rationel de sa prétendue medecine universelle. Quelques auteurs modernes, beaucoup moins connus, nous ont donné aussi des explications physiques & méchaniques des effets de l’eau. L’opinion du public, & sur-tout des incrédules en Medecine, est encore très-favorable à ce remede ; & enfin quelques charlatans en ont fait en divers tems un spécifique, un arcane.

En reduisant tous ces témoignages, & les observations connues à leur juste valeur, nous ne craindrons pas d’établir.

1°. Que la méthode de traiter les maladies aiguës par le secours de la boisson abondante des remedes aqueux, des délayans dont l’eau fait le seul principe utile (V. Délayant), est vaine, inefficace, & souvent meurtriere ; qu’elle mérite sur-tout cette derniere épithete, si on soûtient l’action de la boisson par des fréquentes saignées ; que l’eau n’est jamais un remede véritablement curatif.

2°. Que la nécessité, & même l’utilité de la boisson dans le traitement des maladies aiguës, à titre de secours secondaire, disposant les organes & les humeurs à se préter plus aisément aux mouvemens de la nature, ou à l’action des remedes curatifs ; que l’utilité de la boisson, dis-je, à ce titre n’est rien moins que démontrée ; qu’aucune observation claire & précise ne reclame en sa faveur ; & qu’on trouveroit peut-être plus aisément des faits, qui prouveroient qu’elle est nuisible dans quelques cas.

3°. Que certaines méthodes particulieres, nées hors du sein de l’art, & qui ont eu une vogue passagere dans quelques pays, telles que celle d’un ecclésiastique anglois nommé M. Hancock, & celle du P. Bernardo-Maria de Castrogianne capucin sicilien ; que ces méthodes, dis-je, ne sauroient être tentées qu’avec beaucoup de circonspection, & même de méfiance, par les Medecins légitimes. Le premier des deux guérisseurs que nous venons de nommer, donnoit l’eau froide comme souverain fébrifuge ; & il prétend avoir excité, dans tous les cas où il a éprouvé ce remede, des sueurs abondantes qui prévenoient les fievres qui auroient été les plus longues & les plus dangereuses, telles que la fievre maligne, &c. si on donnoit le remede à tems, c’est-à-dire dès le premier ou le second jour de la maladie, & qu’il l’enlevoit même quelquefois lorsqu’elle étoit bien établie, c’est-à-dire si elle étoit déjà à son quatrieme ou à son cinquieme jour. Le capucin a guéri toutes les maladies aiguës & chroniques, en faisant boire de l’eau à la glace, & observer une diete plus ou moins severe. M. Hancock guérissoit par les sueurs ; le capucin avoit grand soin de les éviter, il ne vouloit que des évacuations par les selles. On trouvera ces deux méthodes exposées dans le recueil intitulé vertus de l’eau commune ; la premiere dans une dissertation fort sage & fort ornée d’érudition médicinale ; & la seconde avec tout l’appareil de témoignages qui annoncent le charlatanisme le plus décidé. Le remede anglois contre la toux, savoir quelques verres d’eau froide prise en se mettant au lit, qui est un rejetton du système du chapelain Hancock, dont quelques personnes font usage parmi nous, ne sauroit passer pour un remede éprouvé.

4°. Les vertus réelles & évidentes de l’eau se ré-