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qu’en rigueur il n’y a qu’un délié, & qu’il y a une infinité de pleins.

5°. Distinguer les situations de la plume. Il n’est pas possible que ces situations ne varient à l’infini : mais l’art les réduit à trois principales ; & la plume est ou de face, ou oblique, ou de travers. La plume est de face, lorsqu’en allongeant & pliant les doigts verticalement, elle produit un plein perpendiculaire qui a toute la largeur du bec ; il est évident qu’alors mue horisontalement, son tranchant tracera un délié. La plume est oblique dans toutes les situations où le jambage qu’elle produit est moindre que celui qu’elle donne de face, & plus fort que le délié ; il est évident qu’alors il faut la mouvoir obliquement, pour lui faire tracer un délié. La plume est de travers, dans la situation diamétralement contraire à la situation de face ; c’est-à-dire qu’alors mue horisontalement, elle produit un trait qui a toute la largeur du bec ; & que mue perpendiculairement, elle trace un délié.

6°. Appliquer convenablement ces situations de plume. On n’a la plume de face, que pour quelques lettres majeures ou terminées par un délié ; quelques lettres mineures, telles que l’S & le T. Il en est de même de la situation de travers. D’où l’on voit que la situation oblique qui est toûjours moyenne entre les deux autres, qu’on peut regarder comme ses limites, est la génératrice de toutes les écritures.

7°. Ecrire. Pour cet effet, il faut s’exercer long-tems à pratiquer les préceptes en grand, avant que de passer au petit ; commencer par les traits les plus simples & les plus élémentaires, & s’y arrêter jusqu’à ce qu’on les exécute très-parfaitement ; former des déliés & des pleins, ou jambages ; tracer un délié horisontal de gauche à droite, & le terminer par un jambage perpendiculaire ; tracer un délié horisontal de droite à gauche, & lui associer un jambage perpendiculaire ; former des lignes entieres de déliés & de jambages, tracés alternativement & de suite ; former des espaces quarrés de deux pleins paralleles, & de deux déliés paralleles ; passer ensuite aux rondeurs, ou apprendre à placer les déliés & les pleins ; exécuter des lettres ; s’instruire de leur forme générale, de la proportion de leurs différentes parties, de leurs déliés, de leurs pleins, &c. assembler les lettres, former des mots, tracer des lignes.

On rapporte la formation de toutes les lettres, à celle de l’I & de l’O. Voyez les articles des lettres I & O. On appelle ces deux voyelles lettres radicales. Voyez l’article Lettres.

On distingue plusieurs sortes d’écritures, qu’on appelle ou ronde, ou batarde, ou coulée, &c. Voyez ces articles. Voyez aussi nos Planches d’Ecritures, où vous trouverez des alphabets & des exemples de toutes les écritures maintenant en usage parmi nous.

Nous terminerons cet article par un moyen de vivifier l’écriture effacée, lorsque cela est possible. Prenez un demi-poisson d’esprit-de-vin ; cinq petites noix de galle (plus ces noix seront petites, meilleures elles seront) ; concassez-les, réduisez-les en une poudre menue ; mettez cette poudre dans l’esprit-de-vin. Prenez votre parchemin, ou papier ; exposez-le deux minutes à la vapeur de l’esprit-de-vin échauffé. Ayez un petit pinceau, ou du coton ; trempez-le dans le mêlange de noix de galle & d’esprit-de-vin, & passez-le sur l’écriture. L’écriture effacée reparoîtra, s’il est possible qu’elle reparoisse.

ECRIVAIN, AUTEUR, synon. (Gramm.) Ces deux mots s’appliquent aux gens de lettres, qui donnent au public des ouvrages de leur composition. Le premier ne se dit que de ceux qui ont donné des ouvrages de belles lettres, ou du moins il ne se dit que par rapport au style : le second s’applique à tout genre d’écrire indifféremment ; il a plus de

rapport au fond de l’ouvrage qu’à la forme ; de plus, il peut se joindre par la particule de aux noms des ouvrages. Racine, M. de Voltaire, sont d’excellens écrivains, Corneille est un excellent auteur ; Descartes & Newton sont des auteurs célebres ; l’auteur de la Recherche de la vérité, est un écrivain du premier ordre.

Je ne puis m’empêcher de remarquer à cette occasion un abus de notre langue. Le mot écrire ne s’employe presque plus dans un grand nombre d’occasions, que pour designer le style ; le sens propre de ce mot est alors proscrit.

On dit qu’une lettre est bien écrite, pour dire qu’elle est d’un très-bon style ; si on veut dire que le caractere de l’écriture est net & agréable à la vûe, on dit qu’elle est bien peinte. Cet usage paroît ridicule, mais il a prévalu. Cependant il faut avoüer, que du moins dans le cas dont nous venons de parler, on a un mot (très-impropre à la vérité) pour exprimer le sens propre. Mais il est d’autres cas où il n’y a plus de mot pour exprimer le sens propre, & où le sens figuré seul est employé ; par exemple dans les mots bassesse, aveuglement, &c. J’avertis de cet abus, afin que les gens de lettres tâchent d’y remédier, ou du moins afin qu’il ne se multiplie pas. (O)

Ecrivain. s. m. (Arts.) espece de peintre, qui avec la plume & l’encre, peut tracer sur le papier toutes sortes de beaux traits & de caracteres.

Comme l’Encyclopédie doit tout aux talens, & que l’histoire parle de gens singulierement habiles dans l’art d’écrire, il est juste de ne pas supprimer les noms de quelques-uns de ceux qui se sont distingués dans cet art admirable, & qui sont parvenus à notre connoissance.

On rapporte que Rocco (Girolomo) vénitien, qui vivoit au commencement du xvij. siecle, étoit un homme supérieur en ce genre ; il dédia un livre manuscrit, gravé sur l’airain, au duc de Savoie l’an 1603, orné d’un si grand nombre de caracteres, & tirades de sa main si excellemment faites, dit Jean Marcel, que le prince admirant l’industrie de cet homme, lui mit sur le champ au col une chaîne d’or du prix de 125 écus. Nous avons eu, ajoûte le même auteur, beaucoup de braves écrivains qui ont fait a la plume des livres étonnans de toutes sortes de caracteres, comme en France le Gagneur, Lucas Josserand ; en Italie D. Augustin de Sienne, M. Martin de Romagne, Camille Buonadio de Plaisance, Créci Milanois, le Curion Romain, le Palatin, le Verune, le sieur M. Antoine Génois. Il y avoit un peintre Anglois nommé Œillard, lequel faisoit avec un pinceau de pareils ouvrages que les autres à la plume, & même pour les caracteres extrêmement fins & déliés, ce qui est encore plus difficile, car le pinceau ne se soûtient pas comme une plume à écrire. Mais Sinibaldo Scorza, né à Gènes en 1591, & mort à l’âge de 41 ans, mérite un éloge particulier pour l’adresse de sa main ; entr’autres preuves de ses talens, il copioit à la plume les estampes d’Albert Durer, d’une maniere à tromper les connoisseurs d’Italie, qui les croyoient gravées, ou qui les prenoient pour les originaux même.

Enfin, il est certain que quelque belle que soit l’impression, les traits d’une main exercée sont encore au-dessus. Nous avons des manuscrits qu’on ne se lasse point de considérer par cette raison. La fonderie ne peut rien exécuter de plus menu que le caractere qu’on nomme la Perle, mais l’adresse de la main surpasse la fonderie. Il y a dans tous les pays des personnes qui savent peindre des caracteres encore plus fins, aussi nets, aussi égaux, & aussi bien formés. Dans le xvj. siecle, un religieux Italien, surnommé Frere Alumno, renferma tout le symbole des apôtres avec le commencement de l’Evangile