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drerent parmi les prêtres l’esprit d’intolérance. Les uns prétendirent qu’on adorât exclusivement les gruës ; d’autres voulurent qu’il n’y eût de vrai dieu que le crocodile. Ceux-ci ne prêcherent que le culte des chats, & anathématiserent le culte des oignons. Ceux-là condamnerent les mangeurs de féves à être brûles comme des impies. Plus ces articles de croyance étoient ridicules, plus les prêtres y mirent de chaleur. Les séminaires se soûleverent les uns contre les autres ; les peuples crurent qu’il s’agissoit du renversement des autels & de la ruine de la religion, tandis qu’au fond il n’étoit question entre les prêtres que de s’attirer la confiance & les offrandes des peuples. On prit les armes, on se battit, & la terre fut arrosée de sang.

L’Egypte fut superstitieuse dans tous les tems ; parce que rien ne nous garantit entierement de l’influence du climat, & qu’il n’y a guere de notions antérieures dans notre esprit à celles qui nous viennent du spectacle journalier du sol que nous habitons. Mais le mal n’étoit pas aussi général sous les premiers dépositaires de la sagesse de Trismégiste, qu’il le devint sous les derniers hyérophantes.

Les anciens prêtres de l’Egypte prétendoient que leurs dieux étoient adorés même des barbares. En effet le culte en étoit répandu dans la Chaldée, dans presque toutes les contrées de l’Asie, & l’on en retrouve encore aujourd’hui des traces très-distinctes parmi les céremonies religieuses de l’Inde. Ils regardoient Osiris, Isis, Orus, Hermès, Anubis, comme des ames célestes qui avoient généreusement abandonné le sejour de la félicité suprème, pris un corps humain & accepté toute la misere de notre condition, pour converser avec nous, nous instruire de la nature du juste & de l’injuste, nous communiquer les sciences & les arts, nous donner des lois, & nous rendre plus sages & moins malheureux. Ils se disoient descendans de ces êtres immortels, & les héritiers de leur divin esprit. Doctrine excellente à débiter aux peuples ; aussi n’y avoit-il anciennement aucun culte superstitieux dont les ministres n’eussent quelque prétention de cette nature ; ils réunirent quelquefois la souveraineté avec le sacerdoce. Ils étoient distribués en différentes classes employées à différens exercices, & distinguées par des marques particulieres. Ils avoient renoncé à toute occupation manuelle & prophane. Ils erroient sans cesse entre les simulacres des dieux, la démarche composée, l’air austere, la contenance droite, & les mains renfermées sous leurs vêtemens. Une de leurs fonctions principales étoit d’exhorter les peuples à garder un attachement inviolable pour les usages du pays ; & ils avoient un assez grand intérêt à bien remplir ce devoir du sacerdoce. Ils observoient le ciel pendant la nuit ; ils avoient des purifications pour le jour. Ils célebroient un office qui consistoit à chanter quelques hymnes le matin, à midi, l’après-midi, & le soir. Ils remplissoient les intervalles par l’étude de l’arithmétique, de la géométrie & de la physique expérimentale, περὶ τὴν ἐμπειρίαν. Leur vêtement étoit propre & modeste ; c’étoit une étoffe de lin. Leur chaussure étoit une natte de jonc. Ils pratiquoient sur eux la circoncision. Ils se rasoient tout le corps. Ils s’abluoient d’eau froide trois fois par jour. Ils buvoient peu de vin. Ils s’interdisoient le pain dans les tems de purification, ou ils y mêloient de l’hyssope. L’huile & le poisson leur étoient absolument défendus. Ils n’osoient pas même semer des féves. Voici l’ordre & la marche d’une de leurs processions.

Les chantres étoient à la tête, ayant à la main quelques symboles de l’art musical. Les chantres étoient particulierement versés dans les deux livres de Mercure qui renfermoient les hymnes des dieux & les maximes des rois.

Ils étoient suivis des tireurs d’horoscopes, portant la palme & le cadran solaire, les deux symboles de l’astrologie judiciaire. Ceux-ci étoient savans dans les quatre livres de Mercure sur les mouvemens des astres, leur lumiere, leur coucher, leur lever, les conjonctions & les oppositions de la lune & du soleil.

Après les tireurs d’horoscopes, marchoient les scribes des choses sacrées, une plume sur la tête, l’écritoire, l’encrier & le jonc à la main. Ils avoient la connoissance de l’hyérogliphe, de la cosmologie, de la géographie, du cours du soleil, de la lune & des autres planetes, de la topographie de l’Egypte & des lieux consacrés, des mesures, & de quelques autres objets relatifs à la politique & à la religion.

Après les horoscopistes venoient ceux qu’on appelloit les stolites, avec les symbobes de la justice, & les coupes de libations. Ils n’ignoroient rien de ce qui concerne le choix des victimes, la discipline des temples, le culte divin, les cérémonies de la religion, les sacrifices, les prémices, les hymnes, les prieres, les fêtes, les pompes publiques, & autres matieres qui composoient dix des livres de Mercure.

Les prophetes fermoient la procession. Ils avoient la poitrine nue ; ils portoient dans leur sein découvert l’hydria ; ceux qui veilloient aux pains sacrés les accompagnoient. Les prophetes étoient initiés à tout ce qui a rapport à la nature des dieux & à l’esprit des lois ; ils présidoient à la répartition des impôts ; & les livres sacerdotaux, qui contenoient leur science, étoient au nombre de dix.

Toute la sagesse égyptienne formoit quarante-deux volumes, dont les six derniers, à l’usage des pastophores, traitoient de l’Anatomie, de la Medecine, des maladies, des remedes, des instrumens, des yeux, & des femmes. Ces livres étoient gardés dans les temples. Les lieux où ils étoient déposés, n’étoient accessibles qu’aux anciens d’entre les prêtres. On n’initioit que les naturels du pays, qu’on faisoit passer auparavant par de longues épreuves. Si la recommandation d’un souverain contraignoit à admettre dans un séminaire quelque personnage étranger, on n’épargnoit rien pour le rebuter. On enseignoit d’abord au néophite l’épistolographie, ou la forme & la valeur des caracteres ordinaires. De-là il passoit à la connoissance de l’Ecriture-sainte ou de la science du sacerdoce, & son cours de théologie finissoit par les traités de l’hyérogliphe ou du style lapidaire, qui se divisoit en caracteres parlans, symboliques, imitatifs, & allégoriques.

Leur philosophie morale se rapportoit principalement à la commodité de la vie & à la science du gouvernement. Si l’on considere qu’au sortir de leur école, Thalès sacrifia aux dieux, pour avoir trouvé le moyen de décrire le cercle & de mesurer le triangle ; & que Pythagore immola cent bœufs, pour avoir découvert la propriété du quarré de l’hypothenuse, on n’aura pas une haute opinion de leur géométrie. Leur astronomie se reduisoit à la connoissance du lever & du coucher des astres, des aspects des planetes, des solstices, des équinoxes, des parties du zodiaque ; connoissance qu’ils appliquoient à des calculs astrologiques & généthliaques. Eudoxe publia les premieres idées systématiques sur le mouvement des corps célestes ; Thalès prédit la premiere éclipse : soit que ce dernier en eût inventé la méthode, soit qu’il l’eût apprise en Egypte, qu’étoit-ce que l’astronomie égyptienne ? il y a toute apparence que leurs observations ne devoient leur réputation qu’à l’inexactitude de celles qu’on faisoit ailleurs. La gamme de leur musique avoit trois tons, & leur lyre trois cordes. Il y avoit long-tems que Pythagore avoit cessé d’être leur disciple, lorsqu’il s’occupoit encore à chercher les rapports des intervalles des sons. Un long usage d’em-