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faisseroit ensuite pendant l’hyver, & laisseroit à découvert les racines du blé.

Si les fumiers ne sont pour les terres qu’un engrais passager, on peut dire aussi que c’est celui dont les effets sont les plus heureux & les plus sûrs. Il n’arrive presque jamais que la recolte soit mauvaise dans une terre fumée assidûement & depuis long-tems : on ne s’apperçoit pas non plus que la fermentation excitée par le fumier étant passée, les terres soient moins fertiles qu’auparavant, comme nous l’avons remarqué de la marne. Celle-ci ne fait guere que mettre en mouvement les parties de la terre ; le fumier, outre son action, augmente ses parties propres à nourrir, de toutes les siennes. On ne peut donc assez chercher les moyens de procurer à ses terres une grande quantité de cet engrais. Outre son excellence, c’est celui qui se trouve le plus aisément sous la main de tous les cultivateurs : les engrais dispendieux & dont l’effet est durable, comme est la marne, & comme pourroient être les glaises, devroient être réservés aux soins des propriétaires. Les fumiers doivent être l’objet & la ressource des fermiers, parce qu’il en retire promptement le fruit. L’augmentation du bétail entraîne celle du fumier, & les fumiers, à leur tour, procurent des recoltes qui mettent à même de nourrir une plus grande quantité de bétail. Les Anglois nous ont donné sur ce point l’exemple le plus encourageant : depuis que les pâturages artificiels ont multiplié chez eux les troupeaux & les engrais, leurs moissons sont augmentées à un point dont on douteroit, si l’on pouvoit se refuser aux témoins qui en font foi. Nous le savons ; & les moyens qui ont été employés sont connus de tout le monde : mais l’ignorance est moins à craindre dans ce genre, que la langueur. Un soufle de vie répandu sur la pratique pénible de ce qu’on sait, développeroit des connoissances qui ne sont étouffées que par le peu d’intérêt qu’on trouve à les employer. Dans tous les arts, une routine languissante est le partage du plus grand nombre des praticiens : l’activité & l’industrie en distinguent quelques-uns ; & ce sont elles qui paroissent multiplier les ressources entre leurs mains. Il en est ainsi dans l’Agriculture : un laboureur attentif trouvera des moyens d’engraisser ses terres, qui, quoique rarement employés, n’en sont pas moins connus de tout le monde ; & son exemple ne réveillera peut-être pas la stupidité de ses voisins.

La marne ne convient pas à toutes les terres ; l’engrais des fumiers est nécessairement borné ; certaines terres n’acquerreroient avec beaucoup de dépense, qu’une fécondité médiocre. Il suppléera de différentes manieres au défaut des fumiers. Nous avons dit que le mêlange des terres étoit excellent. La campagne en offre quelquefois des monceaux qui restent inutiles par la négligence des Laboureurs. On cherche de l’or en fouillant dans le sein de la terre : on y trouveroit des richesses plus réelles, en répandant sur sa superficie la plus grande partie des terres que l’on tire du fond. Toutes, excepté le sable pur, deviennent d’excellens engrais ; celles même qui paroissent stériles, comme la craie, ont leur utilité. Sur les terres froides elle fait presque l’effet de la marne : des parties de ruines, celles qui peuvent se dissoudre feront le même effet sur les mêmes terres, & les fertiliseront pendant quelques années. Tout le monde sait que ces amas d’ordures qui incommodent les villes peuvent enrichir les campagnes : il faut seulement que ceux qui les employent les laissent fermenter en dépôt pendant quelques tems, avant de les répandre sur les terres. Il est nécessaire aussi, dans l’usage de cet engrais, de multiplier les labours. Il contient les graines d’une infinité de plantes qui couvriroient la terre si on ne les arrêtoit pas.

Outre les choses qui sont communes à tous les pays, il en est quelques-unes qui sont particulieres à chaque endroit. Toutes les cendres, celles de tourbe, celles de charbon de terre, celle de bruyere, sont d’excellens engrais. Dans quelques provinces on brûle la terre même, ou du moins le gazon qui la couvre ; & la pratique en a des effets très-heureux. Le marc d’olives est une ressource dans les pays où elles croissent. On peut dire en général que les secours ne manquent guere à l’activité qui les cherche & à l’industrie qui les fait valoir. Les plus mauvaises terres ne seront pas toûjours incultes pour l’homme intelligent. Leur défrichement lui donnera, pendant plusieurs années, des récoltes assez bonnes, au moins en menus grains : si elles ont un peu de fond, il prolongera cette fécondité par la culture ; si elles en manquent, il attendra qu’un nouveau repos leur ait donné de nouvelles forces. Il y a des lieux où l’on ne fait rapporter les terres que tous les deux ans ; mais cette oisiveté périodique est un grand mal, & ne peut être envisagée comme une ressource que quand toutes les autres manquent. Nous avons dit qu’il y en avoit une également sûre & avantageuse pour les bonnes terres épuisées, savoir le changement de plantes. Nous sommes bien éloignés de vouloir décider ici si les plantes se nourrissent indifféremment de tous les sucs ; ou si avec beaucoup de principes communs, chaque plante n’en a pas de particuliers qui ne passent jamais dans d’autres. Nous savons seulement que les plantes qui vont chercher leur nourriture à une grande profondeur, comme la luzerne, le sainfoin, le trefle, servent de repos & d’engrais à la terre fatiguée de rapporter du grain. Ces plantes donnent beaucoup d’herbe, & d’une herbe excellente pour les bestiaux. La luzerne demande une terre qui ait beaucoup de fond, & elle y dure jusqu’à 15 ans. Le sainfoin exige moins de profondeur, & ne va guere jusqu’à dix ans. Le trefle ne dure tout au plus que 3 ans : aussi ne le seme-t-on ordinairement qu’avec de la graine de luzerne. Il donne de l’herbe pendant que celle-ci croît en racines, & il meurt lorsqu’elle devient en état de produire. Le tems étant arrivé auquel ces plantes commencent à languir, on défriche la terre, & elle est améliorée. Sa vigueur est telle qu’il faut prendre les mêmes précautions que pour une terre marnée, & y faire deux ou trois récoltes d’avoine consécutives, avant que d’y semer du blé.

Voilà tout ce qu’il est essentiel de savoir sur l’engrais des terres. Les prés méritent une attention particuliere ; ils en ont qui leur sont spécialement propres. Les prés sur lesquels on peut détourner l’eau des rivieres, trouvent dans cette eau seule un engrais plus sûr & meilleur qu’aucun autre. Il est surtout excellent, si cette eau est un peu limoneuse. On la répand ordinairement vers le 15 d’Avril pour la premiere fois, & dans les premiers jours de Mai pour la seconde. On ne fait alors qu’arroser les prés ; mais il n’est pas inutile de les noyer tout-à-fait pendant l’hyver, & d’y laisser séjourner l’eau pendant quelques jours. Cette précaution fait périr entierement les taupes, les mulots, & tous les insectes qui nuisent à la racine de l’herbe. Il ne faut cependant jamais risquer cette inondation sans être sur de pouvoir retirer l’eau dès qu’on le voudra. Loin de féconder les prés, elle les détruiroit par un trop long séjour. Il est si peu dispendieux de procurer cet engrais aux prés voisins des rivieres, que c’est un soin rarement négligé. Arroser les prés, c’est les fertiliser sûrement : retirer l’eau d’un grand nombre de marais, ce seroit en faire sûrement des prés fertiles ; mais cette opération exige ordinairement beaucoup plus de dépense & d’industrie que l’autre. Dans les lieux où cela est facile, on ne peut que conseiller aux particu-