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taire sous lequel se rangent les soldats, selon les différens corps dont ils sont, ou les différens partis qu’ils suivent.

Dans la premiere antiquité, les enseignes militaires furent aussi simples que l’étoient les premieres armes ; & les diverses nations ou partis, pour se reconnoître dans les combats, employerent pour signal des choses très-communes, comme des branches de verdure, des oiseaux en plume, des têtes d’animaux, des poignées de foin mises au haut d’une perche ; mais à mesure qu’on se perfectionna dans la maniere de s’armer & de combattre, on imagina des enseignes ou plus solides ou plus riches, & chaque peuple voulut avoir les siennes caractérisées par des symboles qui lui fussent propres. Les Grecs, par les termes génériques de σύμϐολον & de πολύσμα, & les Latins par ceux de signum & de vexillum, désignoient toutes sortes d’enseignes, soit qu’elles fussent en figure de relief, soit qu’elles fussent d’étoffe unie, peinte ou brodée ; néanmoins chaque enseigne d’une forme particuliere, avoit son nom propre, tant pour la donner à connoître sous sa forme, que pour montrer à quelle espece de milice elle convenoit.

Le nom d’enseigne est donc générique ; & parmi nous ce genre se subdivise en deux especes, drapeau pour l’infanterie, & étendard pour la cavalerie.

Les Juifs eurent des enseignes, chacune des douze tribus d’Israel ayant une couleur à elle affectée, avoit un drapeau de cette couleur, sur lequel on voyoit, à ce qu’on prétend, la figure ou le symbole qui désignoit chaque tribu, selon la prophétie de Jacob. L’Ecriture parle souvent du lion de la tribu de Juda, du navire de Zabulon, des étoiles & du firmament d’Issachar. Mais quoique chaque tribu eût son enseigne, on prétend que sur les douze il y en avoit quatre prédominantes : savoir, celle de Juda, où l’on voyoit un lion ; celle de Ruben. de Dan & d’Ephraïm, sur lesquelles on voyoit des figures d’hommes, d’aigles, d’animaux. L’existence des enseignes chez les Hébreux est attestée par l’Ecriture : Singuli per turmas, signa atque vexilla castrametabuntur filii Israel, dit Moyse, chap. ij. des nombres. Mais la représentation d’hommes & d’animaux sur ces enseignes n’est pas également prouvée ; elle paroît même directement contraire à la défense que Dieu, dans les Ecritures, réitere si souvent aux Israélites de faire des figures. On croit qu’après la captivité de Babylone, leurs drapeaux ne furent plus chargés que de quelques lettres qui formoient des sentences à la gloire de Dieu.

Il n’en étoit pas de même des nations idolatres ; leurs enseignes ou drapeaux portoient l’image de leurs dieux ou des symboles de leurs princes. Ainsi les Egyptiens eurent le taureau, le crocodile, &c. Les Assyriens avoient pour enseignes des colombes ou pigeons ; parce que le nom de leur fameuse reine Semiramis, originairement Chemirmor, signifie colombe. Jéremie, chap. xlvj. pour détourner les Juif d’entrer en guerre avec les Assyriens, leur conseille de fuir devant l’épée de la colombe, à facie gladii columbæ fugiamus, ce que les commentateurs ont entendu des drapeaux des Chaldéens.

Chez les Grecs, dans les tems héroïques, c’étoit un bouclier, un casque ou une cuirasse au haut d’une lance, qui servoient d’enseignes militaires. Cependant Homere nous apprend qu’au siége de Troye, Agamemnon prit un voile de pourpre & l’éleva en-haut avec la main, pour le faire remarquer aux soldats & les rallier à ce signal. Ce ne fut que peu-à-peu que s’introduisit l’usage des enseignes avec les devises. Celles des Athéniens étoient Minerve, l’olivier, & la chouette : les autres peuples de la Grece avoient aussi pour enseignes ou les figures de leurs dieux tutelaires, ou des symboles particuliers élevés au bout

d’une pique. Les Corinthiens portoient un pégase ou cheval aîlé, les Messeniens la lettre greque Μ, & les Lacédemoniens le Λ, qui étoit la lettre initiale de leur nom.

Les Perses avoient pour enseigne principale une aigle d’or au bout d’une pique, placée sur un charriot, & la garde en étoit confiée à deux officiers de la premiere distinction, comme on le voit à la bataille de Thymbrée sous Cyrus ; & Xénophon dans la Cyropédie, dit que cette enseigne fut en usage sous tous les rois de Perse. Les anciens Gaulois avoient aussi leurs enseignes, & juroient par elles dans les ligues & les expéditions militaires ; on croit qu’elles représentoient des figures d’animaux, & principalement le taureau, le lion, & l’ours.

Il n’en est pas de même de celles des Romains ; à ces premieres enseignes grossieres, ces manipules ou poignées de foin qu’ils portoient pour signaux lorsqu’ils n’étoient encore qu’une troupe de brigands, ils substituerent, selon Pline, des figures d’animaux, comme de loup, de cheval, de sanglier, de minotaure ; mais Marius les réduisit toutes à l’aigle, si connue sous le nom d’aigle romaine.

Elles furent d’abord en relief ; les unes d’or, les autres d’argent, d’airain, ou de bois. Une légion étoit divisée en cohortes, la cohorte en manipules, & le manipule en centuries. Chaque cohorte étoit commandée par un tribun ; il en étoit, pour ainsi dire, le colonel. C’étoit ces officiers qui avoient seuls le droit d’avoir une aigle dans la cohorte que chacun d’eux commandoit. Il n’y avoit que deux aigles par légion, & les enseignes des autres cohortes étoient d’une autre forme. Les aigles des légions étoient d’argent, à l’exception de la premiere aigle de la premiere légion, qui, dans une armée consulaire ou impériale, étoit d’or. Cette aigle d’or étoit regardée comme l’enseigne principale de la nation, & comme un symbole de Jupiter qu’elle reconnoissoit pour protecteur. Les autres enseignes inférieures aux aigles, telles que celles des manipules & des centuries, n’étoient que d’airain ou de bois.

Les enseignes romaines inférieures aux aigles étoient composées de plusieurs médaillons mis les uns sur les autres, attachés ou cloüés sur le bois d’une pique, & surmontés par quelques signes, soit d’une main symbole de la justice, soit d’une couronne de laurier symbole de la victoire. Une enseigne à médailles en contenoit depuis une jusqu’à cinq ou six, sur lesquelles se voyoit le monogramme des quatre lettres majuscules S. P. Q. R. & les portraits des empereurs, tant du prince regnant que de celui de ses prédecesseurs qui avoit créé le corps à qui appartenoit l’enseigne. Elles contenoient aussi l’embleme ou l’image du dieu que ce corps avoit choisi pour son dieu tutelaire ; mais les enseignes d’infanterie étoient chargés de plus de médaillons que celles de la cavalerie. Voyez nos Planches d’antiquités.

Dans toutes les enseignes au-dessous de la partie en relief étoit un petit morceau d’étoffe appellé labarum, qui pendoit en forme de banniere, & qui servoit, soit par sa couleur, soit par son plus ou moins de grandeur, à faire distinguer le manipule ou la centurie à qui l’enseigne appartenoit.

Quoique l’aigle d’or n’eût pas de labarum du tems de la république, il paroît qu’elle en a eu sous les empereurs, du moins du tems de Constantin ; car on sait qu’après la conversion de ce prince au Christianisme les enseignes romaines changerent de devises ; au lieu des emblèmes ou des figures des dieux empreintes sur les médaillons, on grava des croix. Si la légion conserva une de ses aigles, l’autre fut supprimée, & l’une des deux enseignes surmontée d’une croix. De plus le prince & ses successeurs se donnerent une enseigne de corps ou d’accompagnement de leurs per-