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sonnes dans les batailles ; on la nomma labarum : elle étoit d’une riche étoffe & en forme d’une banniere, sur laquelle étoit brodé en pierreries le monograme de Jesus-Christ ainsi figuré , & qu’on avoit substitué à celui-ci S. P. Q. R. On ne portoit le labarum à l’armée que quand l’empereur y étoit en personne. Julien l’apostat rétablit le labarum dans sa premiere forme, & mit dans tous les autres drapeaux la figure de quelque divinité du paganisme : mais cette innovation ne dura pas plus long-tems que le regne de ce prince, & le labarum de Constantin fut remis en honneur.

En tems de paix, les légions qui n’étoient point campées sur les frontieres déposoient leurs enseignes au thrésor public, qui étoit dans le temple de Saturne, & on les en tiroit quand il falloit ouvrir la campagne. On ne passoit pas devant les aigles sans les saluer ; & on mettoit auprès, comme dans un asyle assûré, le butin & les prisonniers de guerre ; les officiers & les soldats y portoient leur argent en dépôt, & le porte-aigle en étoit le gardien. Après une victoire on les ornoit de fleurs & de lauriers, & l’on brûloit devant elles des parfums précieux.

A l’exemple des Grecs & des Romains, & pour la même fin, les nations qui se sont établies en Europe sur les débris de la puissance romaine, ont eu des enseignes dans leurs armées. Nous parlerons ici principalement de celles des François, dont le nombre, la couleur, & la forme n’ont pas toûjours été les mêmes. Ce que nous en dirons est extrait du commentaire qu’a donné sur cette matiere M. Beneton.

En remontant jusqu’à l’établissement de notre monarchie, on voit que les François qui entrerent dans les Gaules avoient des enseignes chargées de divers symboles. Les Ripuaires avoient pour symbole une épée qui designoit le dieu de la guerre, & les Sicambres une tête de bœuf, qui, selon cet auteur, désignoit Apis dieu de l’Egypte, parce que ces deux nations étoient originairement descendues des Egyptiens & des Troyens, si on l’en croit. Quoi qu’il en soit, on convient assez communément que nos premiers rois portoient des crapauds dans leurs étendards.

Depuis la conversion de Clovis au Christianisme, la nouvelle religion ne permettant plus ces symboles qui se ressentoient de l’idolatrie, ce prince ne voulut plus que sa nation fût désignée que par une livrée prise de la religion qu’il suivoit. Ainsi l’enseigne ou la banniere de S. Martin de Tours qui fut le premier patron de la France, & qui étoit d’un bleu uni, fut pour les troupes le premier étendard, comme le labarum l’avoit été pour les Romains depuis la conversion de Constantin. Dans le même esprit on avoit coûtume de porter dans les armées des châsses & des reliquaires. Mais outre ces enseignes de dévotion destinées à exciter la piété, il y avoit encore des enseignes de politique faites pour exciter la valeur, c’est-à-dire des enseignes ordinaires.

Auguste Galland a cru que ce qui étoit porté autrefois dans nos armées sous le nom de chape de S. Martin, étoit effectivement le manteau de ce saint attaché au haut d’une pique pour servir d’enseigne. Mais par le mot cappa, il faut entendre ce qui est signifié par capsa, c’est-à-dire une châsse, un coffret renfermant des reliques de saint Martin, qu’on pouvoit porter à l’armée suivant l’usage de ces tems-là. La véritable enseigne étoit une banniere bleue faite comme nos bannieres d’église. La cérémonie d’aller lever la banniere de S. Martin de dessus le tombeau du saint, où elle étoit mise, quand il étoit question de la porter à la guerre, étoit précédée d’un jeûne & de prieres. Les rois faisoient souvent cette levée eux-mêmes ; & comme il ne convenoit pas à un gé-

néral de porter continuellement une enseigne, ils la

confioient à quelque grand seigneur, duc, comte, ou baron pour la porter pendant l’expédition pour laquelle on la portoit. Les comtes d’Anjou comme advoüés de l’église de S. Martin de Tours avoient ordinairement cette commission. Voyez Advoué.

La dévotion envers S. Martin ayant peu-à-peu diminué, & les rois depuis Hugues Capet ayant fixé leur séjour à Paris, S. Denis patron de leur capitale devint bientôt celui de tout le royaume ; & le comté de Vexin, dont le comte étoit l’advoüé de l’abbaye de S. Denis, ayant été réuni à la couronne par Louis le Gros, ce prince mit la banniere de S. Denis au même crédit & au même rang qu’avoit eu celle de S. Martin sous ses prédécesseurs. On la nomma l’oriflamme ; elle étoit rouge, couleur affectée aux martyrs : quelques-uns ont prétendu qu’elle étoit chargée de flammes d’or, & que de-là étoit venu son nom, mais c’est une tradition peu fondée. L’oriflamme consistoit en un morceau d’étoffe de soie couleur de feu, monté sur un bâton qui faisoit la croix auhaut d’une lance ; l’étoffe de l’oriflamme se terminoit en pointe, ou, selon des auteurs, étoit fendu par le bas comme pour former une flamme à plusieurs pointes. En tems de guerre, avant que d’entrer en campagne, le roi alloit en grande pompe à S. Denis lever cet étendard, qu’il confioit à un guerrier distingué par sa naissance & par sa valeur, chargé de garder cette enseigne & de la rapporter à l’abbaye à la fin de la guerre ; mais les derniers portes-oriflamme négligerent cette derniere cérémonie, & la retinrent chez eux. On croit communément que l’oriflamme disparut à la bataille d’Azincourt sous Charles VI. du moins depuis cette époque il n’en est plus mention dans nos historiens.

Mais dans le tems même que cette enseigne étoit le plus en honneur dans nos armées, & qu’on la portoit à leur tête gardée par une troupe de cavalerie d’élite, il y avoit encore deux enseignes principales ; savoir, la banniere ou l’étendard de France, qui étoit la premiere enseigne séculiere de la nation, & qui tenoit la tête du corps de troupes le plus distingué qu’il y eût alors dans l’armée : 2°. le pennon royal, qui étoit une enseigne faite pour être inséparable de la personne du roi. Successivement les differens corps de troupes, infanterie & cavalerie & leurs divisions, ont eu leurs enseignes, qu’on a nommées bannieres, pennons, fanons, gonsanons, drapeaux, étendards, guidons.

La banniere, qui vient du mot ban ou pan, & celui-ci de pannus en latin drap ou étoffe, étoit commune à la cavalerie & à l’infanterie, & de la même forme que nos bannieres d’église, avec cette différence que celles des fantassins étoient plus grandes que celles des gens de cheval ; qu’elles étoient toutes unies, au lieu que celles de la cavalerie étoient chargées de chiffres, de devises. La banniere de France étoit aussi plus remarquable que les autres par sa grandeur, elle étoit d’abord d’une étoffe bleue unie, qu’on chargea de fleurs de lis d’or quand elles eurent été introduites dans les armoiries de nos rois. On nomma les plus grandes bannieres gonfanons. Depuis, le morceau d’étoffe qui composoit la banniere fut attaché au bois de la pique par un de ses côtés, sans traverse, comme on le voit aux drapeaux d’aujourd’hui qui ont succedé aux bannieres de l’infanterie, comme l’étendard & le pennon aux bannieres de cavalerie. Le pennon ou fanon étoit un morceau d’étoffe attaché le long de la pique aussi-bien que l’étendard, mais avec cette différence que celui-ci étoit quarré, & l’autre plus étroit, plus allongé, & terminé en pointe. Il y avoit des pennons à plus de pointes les uns que les autres. Le pennon d’un banneret suserain, par exemple, n’avoit qu’une pointe, & les pennons des ban-