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ciseau pour jetter en-bas les superfluités, & dégager de sa masse la tête, les bras & autres parties, suivant son modele, & les traits qu’il a formés sur le marbre. Cette opération, qui rend le bloc plus maniable & plus aisé à manœuvrer, se fait alternativement sur ses quatre faces. Voyez Lit, Plinthe, Bloc, & Sculpture.

EPANORTHOSE, s. f. (Belles-Lettr.) figure de Rhétorique, par laquelle l’orateur rétracte ou corrige quelque chose de ce qu’il a déjà avancé, & qui lui paroît trop foible : il y ajoûte quelque chose de plus énergique, & de plus conforme à la passion qui l’occupe ou le transporte. Voyez Correction.

Cicéron employe cette figure dans son oraison pour Cælius, lorsqu’il dit : O stultitiam ! stultitiamne dicam ? an impudentiam singularem ? & dans sa premiere catilinaire : Quamquam quid loquor ? te ut ulla res frangat ? tu ut unquam te corrigas ? tu ut ullam sugam meditêre ? tu ut ullum exilium cogites ? utinam tibi illam mentem dii immortales donarent !

Ainsi Térence, dans son heautontimorumenos, fait dire au vieillard Menedeme :

Filium unicum adolescentulum
Habeo. Ah ! quid dixi habere me ? imo habui, Chreme ;
Nunc habeam, nec-ne, incertum est. (G)

EPANOUIR, (s’) Gram. il se dit de l’accroissement qui suit la sortie du bouton d’une fleur ; ce bouton sorti, la fleur commence à se former par l’épanoüissement du bouton. Il se dit aussi de la fleur, lorsqu’elle a pris toute sa beauté & toute son étendue : cette fleur est entierement épanoüie. Il se prend quelquefois activement & passivement, & l’on dit : vous vous épanoüissez, épanoüissez votre cœur.

EPARER, v. neut. (Manége.) terme par lequel nous désignons l’action d’un cheval qui détache ses ruades avec une telle force, que ses jarrets parfaitement & vigoureusement étendus, font souvent entendre un bruit à-peu-près semblable à celui d’un leger coup de foüet.

Cette action est principalement requise dans l’air des caprioles, & le distingue des airs. relevés que nous nommons croupades & ballotades Voyez Relevés (airs.) (e)

EPARGNE, s. f. (Morale.) signifie quelquefois le thrésor du prince, thrésorier de l’épargne, les deniers de l’épargne, &c.

Epargne en ce sens n’est plus guere d’usage ; on dit plûtôt aujourd’hui thrésor royal.

Epargne, la loi de l’épargne, expression employée par quelques physiciens modernes, pour exprimer le decret par lequel Dieu regle de la maniere la plus simple & la plus constante tous les mouvemens, toutes les altérations, & les autres changemens de la nature. Voyez Action, Cosmologie, &c.

Epargne, dans le sens le plus vulgaire, est une dépendance de l’économie ; c’est proprement le soin & l’habileté nécessaires pour éviter les dépenses superflues, & pour faire à peu de frais celles qui sont indispensables. Les réflexions que l’on va lire ici, auroient pû entrer au mot Economie, qui a un sens plus étendu, & qui embrasse tous les moyens légitimes, tous les soins nécessaires pour conserver & pour accroître un bien quelconque, & sur-tout pour le dispenser à-propos. C’est en ce sens que l’on dit économie d’une famille, économie des abeilles, économie nationale. Au reste les termes d’épargne & d’économie énoncent à-peu-près la même idée ; & on les employera indifféremment dans ce discours, suivant qu’ils paroîtront plus convenables pour la justesse de l’expression.

L’épargne économique a toûjours été regardée comme une vertu, & dans le Paganisme, & parmi les

Chrétiens ; il s’est même vû des héros qui l’ont constamment pratiquée : cependant, il faut l’avoüer, cette vertu est trop modeste, ou, si l’on veut, trop obscure pour être essentielle à l’héroïsme ; peu de héros sont capables d’atteindre jusque-là. L’économie s’accorde beaucoup mieux avec la politique ; elle en est la base, l’appui, & l’on peut dire en un mot qu’elle en est inséparable. En effet, le ministere est proprement le soin de l’économie publique : aussi M. de Sully, ce grand ministre, cet économe si sage & si zélé, a-t-il intitulé ses mémoires, Economies royales, &c.

L’épargne économique s’allie encore parfaitement avec la piété, elle en est la compagne fidele ; c’est-là qu’une ame chrétienne trouve des ressources assûrées pour tant de bonnes œuvres que la charité prescrit.

Quoi qu’il en soit, il n’est peut-être pas de peuple aujourd’hui moins amateur ni moins au fait de l’épargne, que les François ; & en conséquence il n’en est guere de plus agité, de plus exposé aux chagrins & aux miseres de la vie. Au reste, l’indifférence ou plûtôt le mépris que nous avons pour cette vertu, nous est inspiré dès l’enfance par une mauvaise éducation, & sur-tout par les mauvais exemples que nous voyons sans cesse. On entend loüer perpétuellement la somptuosité des repas & des fêtes, la magnificence des habits, des appartemens, des meubles, &c. Tout cela est représenté, non-seulement comme le but & la récompense du travail & des talens, mais sur-tout comme le fruit du goût & du génie, comme la marque d’une ame noble & d’un esprit élevé.

D’ailleurs, quiconque a un certain air d’élégance & de propreté dans tout ce qui l’environne ; quiconque sait faire les honneurs de sa table & de sa maison, passe à coup sûr pour homme de mérite & pour galant homme, quand même il manqueroit essentiellement dans le reste.

Au milieu de ces éloges prodigués au luxe & à la dépense, comment plaider la cause de l’épargne ? Aussi ne s’avise-t-on pas aujourd’hui dans un discours étudié, dans une instruction, dans un prône, de recommander le travail, l’épargne, la frugalité, comme des qualités estimables & utiles. Il est inoüi qu’on exhorte les jeunes gens à renoncer au vin, à la bonne chere, à la parure, à savoir se priver des vaines superfluités, à s’accoûtumer de bonne heure au simple nécessaire. De telles exhortations paroîtroient basses & mal-sonnantes ; elles sont néanmoins bien conformes aux maximes de la sagesse, & peut-être seroient-elles plus efficaces que toute autre morale, pour rendre les hommes réglés & vertueux. Malheureusement elles ne sont point à la mode parmi nous, on s’en éloigne même tous les jours de plus en plus ; par-tout on insinue le contraire, la mollesse & les commodités de la vie. Je me souviens que dans ma jeunesse on remarquoit avec une sorte de mépris les jeunes gens trop occupés de leur parure ; aujourd’hui on regarderoit avec mépris ceux qui auroient un air simple & négligé. L’éducation devroit nous apprendre à devenir des citoyens utiles, sobres, desintéressés, bienfaisans : qu’elle nous éloigne aujourd’hui de ce grand but ! elle nous apprend à multiplier nos besoins, & par-là elle nous rend plus avides, plus à charge à nous-mêmes, plus durs & plus inutiles aux autres.

Qu’un jeune homme ait plus de talent que de fortune, on lui dira tout au plus d’une maniere vague, qu’il doit songer tout de bon à son avancement ; qu’il doit être fidele à ses devoirs, éviter les mauvaises compagnies, la débauche, &c. mais on ne lui dira pas, ce qu’il faudroit pourtant lui dire & lui répeter sans cesse, que pour s’assûrer le nécessaire & pour s’avance par des voies légitimes, pour de-